Dernier billet concernant des ballons montés envoyés lors du siège de 1870-1871. Celui-ci a été écrit par un certain Jules Vidal-Naquet (1831-1889). Ce Garde National monté à Paris défendre la capitale Il restera dans les mémoires un fervent républicain salué par son petit-fils historien. Et à une autre époque, avec un certain esprit d’entrepreneur et un goût pour les livraisons il aurait pu créer Uber ou UPS !

Ma chère Sara,
Pourquoi l’administration des postes en province n’organise-t-elle pas des services par lesquels toutes lettres à destination de Paris affranchie à 2 ou 3 francs non cachetées et pesant 1 gramme seraient expédiées par des facteurs qui se risqueraient à traverser les lignes Prussiennes moyennant une rétribution qui serait proportionnée aux risques à courir. Et pourquoi à défaut de la poste, des entreprises particulières ne se forment elles pas ? Si j’étais en province je saurais exploiter cette situation et gagner de l’argent en rendant de grands services. La privation complète de tes lettres est mon plus grand supplice. Tu dois recevoir, si non toutes les miennes, du moins une bonne partie et je te recommande malgré l’interruption des communications, écris moi tous ou presque tous les jours.

Notre situation est toujours la même, notre défense est bien organisée mais je crains la défection de la province. Nous sommes tout à fait sans nouvelles du dehors. Je suis devenu pour ainsi dire indifférent à tout événement qui ne semble pas avoir pour effet de rétablir la circulation. Une lettre de toi me rendrait la vie. Je n’ose pas me livrer ici aux conjectures que je fais, je sais que tu es en proie à la plus vive inquiétude et que tu dois peut-être beaucoup languir loin de toutes tes habitudes, mais au moins n’êtes vous, aucun de vous, malades ? Je suis démoralisé, énervé, incapable de t’écrire longuement. Je te le répète, c’est la privation seule de tes lettres qui me rend ainsi et surtout l’incertitude de l’avenir car qui sait si nous ne resterons pas plusieurs mois encore dans cette situation. Je n’ai pas vu Gabriel depuis 3 jours. Je lui ai recommandé dans le cas où il viendrait à être blessé de se faire transporter chez moi. Il n’est pas encore allé au feu. J’embrasse bien mes chers enfants et toi, ton mari qui t’aime.

(source collection personnelle SurNosTraces)
Jules, garde national et « Fou de la République »
Petite bizarrerie, le tampon d’oblitération de la lettre est daté du 15 octobre 1870 alors que c’est écrit à la main 13 août 1870. Cela semble être une erreur vu que le siège de Paris ne débute que le 23 septembre 1870 et que la lettre fait bien état de l’arrêt des communications depuis l’extérieur.
Jules Vidal-Naquet est issue d’une famille installée à Montpellier de longue date, avant la révolution. A l’époque de cette lettre, Jules avait 4 enfants restés à Montpellier avec leur mère Sara. Le « Gabriel » évoqué dans la lettre est vraisemblablement son neveu Gabriel Lisbonne (1848-1882), âgé de 22 ans pendant le siège, fils aîné de sa soeur Mélanie Myriam Vidal-Naquet.
Un des petits-fils de Jules Vidal-Naquet auteur de cette lettre sera le célèbre historien Pierre Vidal-Naquet. Dans ses mémoires, Pierre évoque justement son grand père Jules :
« Jules qui, au lycée, ne dépassa pas la classe de quatrième, fut un ardent républicain sous l’Empire ; de Montpellier il remonta à Paris, laissant femme et enfants dans l’Hérault, faire son devoir de garde national. Sa correspondance avec sa femme, « par ballon monté », et où nouvelles familiales, jugements politiques et réclamations petites et grandes sont mêlés, constitue une documentation de première main et fort pittoresque sur ceux que Pierre Birnbaum a appelés les Fous de la République. «
Source : Pierre VIDAL-NAQUET – Mémoires tome 1, « la brisure et l’attente 1930-1935 », Editions du Seuil / La découverte, avril 1995, ISBN : 2-02-019882-7 (p 111-112)
Ces ballons-montés sont manifestement célèbres dans la famille. Si j’ai trouvé celui-ci en brocante, je serais à l’occasion curieux de découvrir les autres !
J’aime beaucoup cette série de lettres.