Manger du cheval et de l’âne

Ballon monté de Constant Halphen

Constant Edmond Halphen (1831-1895) est un riche banquier, issu d’une famille bourgeoise parisienne. Son père Edmond Halphen (1802-1847) négociant et joailler a été maire du 2ème arrondissement de Paris. Son grand père Salomon Halphen (1773-1840) était un diamantaire originaire de Metz venu s’installer à Paris.

Quand éclate la guerre de 1870, Edmond a manifestement choisi de rester à Paris, après avoir mis sa famille à l’abri en Suisse chez des amis. C’est à sa femme Bertha Oppenheimer (1836-1914) qu’il écrit dans ce ballon monté du début novembre 1870.

Transcription du ballon monté

Paris, le 8 novembre 1870

Chère et bonne amie,

Malgré le rejet d’armistice par la France, il en est encore fortement question et même beaucoup de gens croient à la paix prochaine. Qu’il y ait ou non armistice, je ne pense pas non plus que la guerre puisse durer bien longtemps encore, nous ne savons jamais ce qui se passe en dehors de Paris mais il ne me paraît pas que le pays se lève avec grande ardeur pour continuer la lutte.

Vous en devez savoir plus que nous là-dessus et s’il en est ainsi il est bien évident que Paris n’en pourra seul supporter toute la charge et qu’il devra céder ayant fait tout son devoir. J’espère qu’il me sera possible alors d’accourir vers toi sans retard et que je vous trouverai tous en bonne santé. Il me semble qu’il y a des années que je vis comme je le fais, tant me paraît éloignée l’époque où nous étions réunis en famille. Résignons-nous avec fermeté à ce que nous ne pouvons changer et ne perdons pas patience au moment où nous approchons peut-être du terme de notre séparation.

Ma santé est excellente, nous n’avons eu encore aucune privation matérielle véritable à supporter grâce au parti que nous avons pris de manger du cheval et de l’âne dont la viande ne manque pas et est parfaitement bonne et saine.

La suite de transcription est particulièrement délicate. L’écriture en pattes de mouches, sur du papier à cigarette, est répartie sur deux couches à la fois horizontalement et verticalement. J’y lis quelques bribes :

« Le nombreux personnel de domestiques et gens engagés dont je suis le banquier tient (?) aussi bien que possible au fond (?), tous se retiennent à leurs postes au moment voulu ». [transcription incertaine, sens idem]

« Je suis allé entendre le requiem de Chérubini à la Madeleine, nous suivons les clubs, les conférences afin de tâcher de ne pas nous absorber en une seule idée ; même sans la formation [?] la vie intellectuelle de Paris se manifeste de toutes manières, mais sérieuse partout comme la position le comporte. Jamais il n’y a eu pareille foule et pareil enthousiasme à la musique classique, expression que les goûts et les idées de l’empire ne reparaitraient pas avec la faim [?]. La toilette même des femmes quelles qu’elles soient a pris un air d’austérité, n’est ce pas un signe des temps, une vraie révolution dans Paris ? »

« Amitiés à tous les nôtres, baisers aux enfants et pour toi mes plus vives [?].

Ton meilleur ami, Constant« 

Manger du cheval et de l’âne

Confrontés à la famine qui guette, les parisiens trouvent rapidement d’autres sources de nourriture. Cette lettre écrite début novembre, soit après 6 semaines de siège, évoque les chevaux et ânes mis au menu des parisiens. Mais ce n’est que le début du siège et de nombreux témoignages, alors que la disette progresse, parlent de mets encore plus originaux : chats, chiens, rats, et même deux éléphants du jardin d’acclimatation !

Constant Halphen ne semble pas s’émouvoir de la chose et semble même apprécier cette viande « parfaitement bonne et saine ». Le fait que la tradition juive interdise de manger les ruminants dont le sabot n’est pas fendu, donc les chevaux et les ânes, ne semble l’avoir personnellement absolument pas dérangé !

Viande canine et féline, rats,… Le marché St Germain pendant le siège, gravure extraite de l’ouvrage « Paris sous les Obus » (Dalsème, collection personnelle)
Le vendeur de rats pendant le siège de Paris
(peinture de Narcisse Chaillou, Musée Carnavalet, photo Surnostraces)

De châteaux en châteaux

La lettre de Constant Halphen est adressée à sa femme domiciliée au Château de Pregny, près de Genève. Il s’avère que ce château est alors la propriété de la famille Rothschild, autre grande famille de la bourgeoisie parisienne. Constant semble avoir eu le temps de mettre sa famille à l’abri en Suisse et le choix de rester à Paris semble être volontaire. Il aurait également pu se réfugier dans un autre de ses domaines, étant alors propriétaire d’un château dans le bordelais. Sûrement d’autres ballons montés ont-ils été envoyés par Constant à sa famille. Seule certitude, la famille se retrouve réunie à nouveau à Paris après la guerre de 1870, Constant, sa femme, et leurs deux enfants Edmond (1857-1936) et Ida (1861-1933).

Château de Pregny (source internet)
Château Batailley (Pauillac Médoc), propriété de Constant Halphen (source internet)

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