Paris peut brûler…

Ballon monté de Bernard David

Bernard David (1829-1896) était un négociant parisien, né et mort à Paris, fils de Joseph David (1792-1833), marchand colporteur, et de Babette Nathan (1796-1830), tous deux nés à Paris. Ce titi parisien avait épousé en 1858 à La Haye une petite hollandaise, Dorothée Polak Daniels (1835-1894). Il avait en cela suivi l’exemple de son frère aîné Jules David (1818-1899), qui avait épousé en 1853 à La Haye la sœur aînée de Dorothée, Rachel Polak Daniels (1828-1919).

Quand éclate la guerre de 1870, les deux frères Bernard et Jules David sont tous deux à Paris, tandis que leur famille est réfugiée à La Haye. Bernard était le père d’une petite Louise (1863-), Jules le père d’un petit Lucien (1858-1902). Sur ce ballon monté, c’est Bernard qui prend la plume pour écrire à sa femme Dorothée, sa chère Dora.

Ballon monté de Bernard David (Paris, 17 janvier 1871 – Collection personnelle)

Ici on tiendra jusqu’au dernier morceau de pain

« Mardi 17 Janvier 1871

Ma chère Dora, Jules a encore reçu une dépêche datée de Calais du 17 novembre et nous donnant de vos nouvelles, bien éloignées puisqu’elles datent de deux mois. Le temps est tout à fait radouci et aujourd’hui c’est un vrai printemps.

Le bombardement continue toujours mais sans occasionner grand mal. Je ne sais pourquoi les Prussiens s’acharnent à lancer ainsi des obus qui ne tuent que de pauvres enfants et des femmes et qui ne font qu’augmenter notre haine pour eux, si cette haine pouvait être augmentée. Un de leurs journaux a eu l’infamie d’écrire qu’il fallait exterminer tout ce qui est valide en France, en tuant les enfants c’est autant d’ennemis en moins dans l’avenir, en tuant les femmes c’est anéantir le moule qui fera les vengeurs. Ils n’arriveront jamais à prendre Paris, la famine seule pourrait leur ouvrir les portes, et encore ils n’oseront pas entrer, c’est une race lâche qui ne se bat que cachée et à l’abri d’une formidable artillerie. Ici on tiendra jusqu’au dernier morceau de pain et c’est merveilleux de voir une population de 2 300 000 habitants si divisée d’opinions s’entendre aussi bien pour résister à l’ennemi. Jamais Paris n’a été aussi tranquille malgré que les rues soient à peine éclairées par quelques lampes de pétrole, il n’y a pas encore eu depuis quatre mois une seule attaque nocturne même pas le plus petit vol.

On attend avec impatience le moment de marcher en avant. Trochu hésite ? Nous ne savons pourquoi, il veut ménager la vie des hommes, dit-on, enfin espérons. Ici tout va bien nous ne manquons de rien. Le bombardement n’atteint pas du tout nos quartiers. Jules est admirable et sans souci, il est très tranquille de vous savoir à La Haye, il a un appétit ruineux et un sommeil de chanoine. Paris peut brûler et être bombardé, tant qu’il y aura un restaurant ouvert il se trouvera très heureux. Mes amitiés à Rachel, Lucien mes meilleurs baisers pour toi et ma Louise.

B. David.

Continuez à nous envoyer des dépêches, on peut en envoyer de Hollande, j’en ai vu une hier qui venait de Rotterdam.« 

Emouvant document qui témoigne d’une haine farouche de l’envahisseur et d’une totale détermination à poursuivre le combat malgré les morts de civils et la famine qui guette. Mais qui ne manque pas non plus d’humour quand il évoque l’appétit gargantuesque de son frère Jules « Paris peut brûler et être bombardé, tant qu’il y aura un restaurant ouvert il se trouvera très heureux » ! Absolument aucune allusion à la religion : la principale préoccupation est la guerre et la famille.

Daté du 17 janvier 1871, ce courrier est parti avec le ballon du 18 janvier 1871, nommé « La Poste de Paris ». Il s’envola de nuit de la Gare du Nord, pour un vol de 6h30 et 400 km qui arriva … en Hollande ! En revanche l’allusion à des dépêches arrivées de Hollande à Paris semble surprenante. Peut-être via des pigeons voyageurs, seul moyen a priori à avoir réussi à faire passer quelques messages à Paris ?

La gazette des absents

Cette lettre est écrite à la main sur un journal imprimé à Paris pendant le siège, « La Gazette des Absents ». Évidemment le ton est résolument optimiste mais on devine les difficultés avec dans cet épisode l’annonce d’un rationnement sur les farines et les grains, l’interdiction des « pains de luxe » et même la mie en place de primes pour « toute personne qui révélera à l’autorité l’existence de blés cachés à confisquer par l’Etat ».

Si le blé est rare, heureusement il reste du bon pinard ; « Les vins ordinaires sont presque épuisés, mais les qualités supérieures sont en quantité considérable, et nous en serons quitte pour boire notre vin meilleur ».

Nul ne sait si les parisiens auront bien eu le temps de profiter de ce vin meilleur. 11 jours plus tard, l’armistice était signé entre la France et la coalition allemande, par Jules Favre, ministre des Affaires étrangères du gouvernement de la Défense nationale, et le chancelier Bismarck.

Peintures de Puvis de Chavannes : le Ballon et le Pigeon
(1871, @Musée d’Orsay, photo Surnostraces)
La fin du siège de Paris, par Ernest Meissonier
(@Musée d’Orsay, photo Surnostraces)

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