Stalag XII

L’actualité pesante de ces derniers mois m’incite je l’avoue assez peu à écrire sur ce blog. A quoi bon ressasser un passé qui s’éloigne face aux drames du quotidien ? Arrêter ? Attendre des jours meilleurs ? Quel sens à tout cela ? Face à ces questions sans réponse, je vais tenter de continuer, aidé par la découverte récente en brocante d’un lot intéressant de vieux papiers de famille avec quelques photos noir et blanc. J’avoue garder un certain plaisir à plonger dans ces vieux documents, veilles photos en noir & blanc aux reflets sépias et surannés, et tenter de les faire parler pour les écouter et les comprendre, comme un voyage dans le temps et dans l’espace.

Ce billet part ainsi sur les traces d’un soldat juif engagé volontaire dans l’armée française avant de se retrouver prisonnier de guerre en Allemagne nazie. Bienvenue sur les traces de Adolphe Symchowicz (Varsovie 1919, Paris 2012).

Il s’agit là d’un lot cohérent ayant appartenu à une même famille, datant principalement des années 30 et 40. Le personnage central est un certain Abraham (également appelé Adolphe) Symchowicz (orthographe joyeusement fluctuante et malmenée). Jeune juif originaire de Varsovie, Abraham quitte sa Pologne avec sa famille pour se réfugier dans le Paris des années 20. Il a tout juste 20 ans quand éclate la 2e guerre mondiale et qu’il décide de rejoindre l’armée française parmi les Engagés volontaires étrangers.

Registre des engagés volontaires, 1940
(Source : Mémoire des Hommes)

Pris dans la déroute de l’armée française, Abraham se retrouve prisonnier comme tant d’autres avec lui, et envoyé en Allemagne dans différents camps de travail rattachés au Stalag XII. Perspective guère réjouissante quand on est juif de se retrouver prisonnier au coeur de l’Allemagne nazie… Et pourtant, son statut de prisonnier de guerre lui sauvera paradoxalement la vie. En effet, protégés par la Convention de Genève de 1929, les quelques 13 000 soldats juifs prisonniers de guerre capturés par la Wehrmacht en France seront libérés par les Alliés en 1945 ( une thèse sur le sujet vient d’être rédigée et devrait faire l’objet d’une publication prochaine soutenue par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah).

Dès janvier 1941 la famille d’Abraham tente d’avoir de ses nouvelles en contactant le Centre National d’Information sur les Prisonniers de Guerre, en vain. Il leur est recommandé de « prendre patience ». Sa famille finit par en apprendre plus sur son sort, et peut alors lui envoyer en décembre 1941 un colis « avec un pull et un bonnet ».

Janvier 1941 : la famille d’Abraham interroge le Centre National d’Information sur les Prisonniers de Guerre pour avoir de ses nouvelles, en vain
(Source : Surnostraces)

Abraham est envoyé dans la 12e région militaire allemande en Sarre, près de la France et du Luxembourg. Il travaille dans différents « commandos de travail », rattachés à différents camps de prisonnier. D’abord au Stalag XII-C à Wiebelsheim comme en atteste en février 1941 son certificat de santé. Puis au Stalag XII-F à Baumholder toujours en Sarre où il reçoit en décembre 1941 un colis de sa famille, composé d’un pull et d’un bonnet. Son « Ausweis » de prisonnier daté de novembre 1942 le situe toujours au Stalag XII-F. Il passe ensuite au Stalag XII-D situé dans le massif rhénan sur une colline près de Trèves. C’est là qu’il restera jusqu’à la fin de la guerre. C’est de là qu’il écrit en 1944 à son petit frère Joel Symchowicz qui a suivi le même parcours, engagé volontaire puis prisonnier de guerre en Allemagne.

Février / mars 1941, certificat de santé de Abraham au Stalag XII C
(Source : Surnostraces)
Certificat de réception de colis : un pull et un bonnet (décembre 1941), Arbeitskommando 830, Baumholder
(Source : Surnostraces)
Kriegsgefangenen Ausweis de Abraham, prisonnier n°45201, orné de l’emblème nazi, Stalag XII F, Arbeitskommando 560, Rockenhausen (Source : Surnostraces)
Lettre de Abraham Adolphe Symchowicz à son frère Joel Léon Symchowicz, tous deux prisonniers de guerre en Allemagne (août 1944), Arbeitskommando 1089, Nennig (Source : Surnostraces)
Octobre 1944 – Ausweis de Abraham Adolphe, Stalag XII D, Arbeitskommando 38 A, Ringen (Source : Surnostraces)
Avril 1945, enfin le retour vers Paris ! Abraham quitte alors le Stalag XII D
(Source : Surnostraces)

Je partage ici les quelques photos prises par Abraham dans son Stalag. Une occasion unique de plonger dans la vie de ces camps de prisonniers. Vu qu’il n’y a au dos de ces photos aucune indication de lieu et de date, impossible de situer les lieux précisément parmi les différentes localisations précédemment évoquées.

Peut-être certains y retrouveront le visage d’un proche ou cela leur évoquera des expériences similaires ? J’imagine que les témoignages photographiques de ces soldats juifs internés en camps de prisonniers ne sont pas si nombreux (mais peut être me trompè-je).

Prisonniers de guerre, Stalag XII (Abraham à genou à gauche) (Source : Surnostraces)
Pause musicale estivale (Abraham à droite) (Source : Surnostraces)
Groupe de prisonniers de guerre entre les baraquements, stalag XII (Abraham vraisemblablement assis derrière la personne en tablier) (Source : Surnostraces)
Groupe de prisonniers de guerre, stalag XII (Abraham au deuxième rang en partant du bas et de la gauche) (Source : Surnostraces)
Noel 1943 au Stalag XII (Abraham est à droite), Nennig (Source : Surnostraces)

La vie est belle (?)

A travers ces photos, les conditions de vie dans ce stalag semblent assez correctes, avec presqu’un faux-air de la série « Papa Schultz » croisée dans mon enfance. On y voit quelques sourires, des moments de détente autour d’une guitare et même la préparation de Noel. Bref la vie semble belle, surtout quand on la compare à toutes les horreurs que les nazis et leurs alliés font subir en Europe aux populations civiles et aux juifs en particulier. Mais ces quelques photos figées, posées, sûrement autant destinées à rassurer leurs proches qu’à se garder des bons souvenirs, ne sont évidemment qu’un aperçu partiel de la vie des camps. Comment Abraham a-t-il vécu sa captivité ? Que savait-il réellement de ce qui se passait ailleurs en Europe et en France ? Comment se sentait-il en tant que juif à l’intérieur du camp, avec ses camarades ? Quelles furent les menaces, les brimades, les amitiés, de ces soldats juifs prisonniers en Allemagne ? Impossible à dire avec ces photos. Abraham a forcément croisé d’autres prisonniers juifs, français comme étrangers engagés volontaires, estimés entre 13 et 15 000 en captivité. Au dos d’une des photos, vraisemblablement envoyée après guerre, un message indique « A mon ami Symchowicz Adolphe, en souvenir des dures épreuves passées ensemble pendant notre captivité. Nennig, Janvier 1944 » Signé Lucien Nefussy, juif salonicien également enrôlé volontaire et prisonnier de guerre à Nennig avec Abraham.

Noel 1943, Nennig, carte envoyée par Lucien Lazare Nefussy à son ami Abraham Adolphe Symchowicz (Source : Surnostraces)

Baumholder, camp disciplinaire

Quelques témoignages sur Baumholder où passa Abraham en 1941 donnent un éclairage complémentaire moins idyllique, Baumholder s’avérant être un camp disciplinaire destiné aux indésirables et aux juifs (sources Cairn et HAL) :

« La Strafcompagnie destinée aux punis de toutes sorte était réservée également aux Israélites qui faisaient les corvées du camp les plus viles. » Le Kommando disciplinaire de Baumholder dépendant du Stalag XIIC regroupe les prisonniers indésirables. « C’était le camp des Juifs et des prisonniers de nationalité douteuse, de tous ces malheureux dont les luttes politiques et les révolutions européennes depuis trente ans avaient fait des apatrides et qui, réfugiés chez nous s’étaient trouvés embrigadés à la déclaration de guerre dans les régiments étrangers. Les Allemands les parquaient à l’écart et leur refusaient la consolation d’être traités, malgré leur uniforme, comme des soldats français. » La discipline y est « très sévère » et la nourriture « insuffisante ». « L’occupation favorite de ce personnage [un gardien ] était d’emmener tout son monde sur un terrain défoncé par les pluies pour y diriger en personne des exercices « d’assouplissement ». Il s’agissait d’exécuter au commandement une série de mouvements très simples, mais dont la succession précipitée faisait un vrai supplice : « Marchez ! A plat ventre ! Debout ! Pas de gymnastique ! A plat ventre ! Rampez ! Debout ! Pas de gymnastique ! A plat ventre ! Debout ! ». Le fin du fin consistait pour le facétieux Feldwebel à ordonner le plat ventre aux endroits les plus sales, quitte, si un malheureux prenait appui sur les mains et les genoux pour éviter que l’humidité le pénétrât, à lui monter sur les reins pour l’écraser au sol, ou quitte encore, quand toute la troupe était fourbue et souillée de boue à décider pour le lendemain une revue d’effets.

Le retour à Paris

En tout cas, « à l’abri » dans son camp de prisonnier il réussit à traverser la guerre et retourne alors à Paris. Abraham avait vécu avant-guerre dans le Marais, chez ses grands parents installés au 43 rue Vieille du Temple, à l’angle avec la rue des Rosiers. On retrouve Abraham sur une photo (non datée, sûrement après guerre, 40s/50s) posant dans ce quartier avec son chien, devant la façade de ce qui deviendra plus tard le célèbre restaurant Goldenberg, à l’angle de la rue Ferdinand Duval et de la rue des Rosiers. Abraham demande et obtient la nationalité française en 1948. (dossier en attente d’une consultation prochaine aux Archives Nationales)

Abraham avec à sa droite ce qui deviendra le restaurant de Jo Goldenberg. (rue Ferdinand Léger / rue des Rosiers, Paris 4) (Source : Surnostraces)

Le lot de documents comprend une seule photo en couleur, celle du restaurant de Jo Goldenberg. Sur cette photo amateur non datée, on voit devant la façade des gerbes de fleurs, manifestement en hommage aux victimes de l’attentat terroriste mené par des palestiniens en 1982. Qu’a du ressentir Abraham de revoir ainsi la haine antisémite revenir frapper son pays, sa ville, son quartier, sa rue ? Lui qui avait réussi à traverser les horreurs de l’Allemagne nazie, se voir ainsi rattraper par la haine antisémite aux couleurs cette-fois palestiniennes. Peur, désarroi, incompréhension, colère, fatalisme, on ne peut qu’imaginer. Et on ne saura sûrement jamais, Abraham étant décédé à Paris en 2012. Peut-être a t il eu des enfants mais je n’en ai pas trouvé trace. Puissent ces quelques documents qui ont réussi à traverser la guerre et les camps contribuer à conserver et partager son histoire et celle plus largement de ces milliers de soldats étrangers, juifs pour beaucoup d’entre eux, qui ont servi la France.

Gerbes de fleurs devant le restaurant de Jo Goldenberg après l’attentat terroriste palestinien de la rue des Rosiers, Paris 4e
(photo non datée, années 80s, parmi les papiers de Abraham Symchowicz)

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