Henri Stern : l’étoile du sud

L’étoile du sud : rien à voir avec le roman éponyme de Jules Verne où le héros part à la recherche d’un diamant disparu. Ici point de diamant mais l’histoire d’une vieille photo qui redonne un visage à un nom, celui d’un Alsacien au nom étoilé parti chercher fortune sous le soleil du Sud. Le point de départ : une vieille carte photo trouvée datant de 1912 où Henri Stern pose fièrement sur sa voiture à cheval, devant chez lui, avec sa jolie femme et un ami. Bienvenue sur les traces de Henri Stern.

Henri naît en 1880 à Haguenau dans le Bas Rhin. Il ne reste que peu de temps sous les cieux alsaciens puisque ses parents décident rapidement de quitter leur Alsace natale pour s’installer en France. Pourquoi ne sont ils pas partis dès l’invasion allemande ? Pourquoi ont ils attendu une dizaine d’années avant de quitter leur Alsace natale pour rejoindre la France ? Impossible à dire avec certitude. En tout cas juste après la naissance de leur 3e enfance, Jacques Bernard Stern et Adèle Baum décident de changer de vie.

En ce début d’année 1882, la famille Stern quitte son Alsace natale occupée par les casques à pointe pour s’installer en France, dans le Sud. Le Sud avec un grand S : Marseille ! On imagine le choc ! Après l’hiver alsacien froid et humide et la traversée de la France sûrement en chemin de fer à charbon, voici la découverte des cigales, de la Canebière, de la gouaille du Vieux Port et d’une lumière incomparable. Le paradis ? Peut-être. En attendant la vie est dure. La petite Célestine, née à Haguenau fin janvier 1882, décède le 4 juin à Marseille, âgée de seulement 4 mois. Heureusement les deux aînés Hélène et Henri, du haut de leurs 3 et 2 ans, ont mieux supporté le voyage. Leur père Bernard n’est qu’un modeste négociant en lingerie ; son petit négoce périclite et fait faillite dès 1885. Il devient alors employé. La famille enchaîne les logis dans le coeur du vieux Marseille populaire : quartiers de l’Opéra, Belsunce, Noailles,… Et la famille ne tarde pas à s’agrandir : arrivent Caroline, Louis, Fanny, Maurice, Léon, Marcelle. Autant de prénoms qui fleurent davantage la Canebière que leurs racines juives alsaciennes.

Le recensement de 1906 montre que la famille a alors 6 enfants, de 4 à 26 ans. Bizarrement, alors que tous les enfants sont indiqués par ordre d’âge, Henri apparaît en dernier, après la domestique. Peut-être est-ce lié à son mariage récent le 15 février 1906 avec une fille du cru, une marseillaise nommée Joséphine Marie Senes.

Recensement de 1906 de la famille Stern, demeurant 2 rue Audimar (@Archives Marseille)

C’est donc cette Joséphine qui est aux côtés de Henri sur la carte photo écrite en 1912.

Henri Stern, au centre, sur sa voiture avec sa femme et un ami, rue Fauchier à Marseille (@SurNosTraces)
La rue Fauchier aujourd’hui. La façade du bâtiment a peu changé et héberge aujourd’hui un campus étudiant de l’école Condé. (@Google)

La lettre est adressée à un gendarme de Simiane, un corse du nom de Raphalli.

« Cher ami, je vous envoie un souvenir de Joseph, il y a moi, ma femme et un de mes amis sur ma voiture. Je pense souvent à vous quand je vais à l’Estaque pour vendre car vous me plaisez beaucoup comme caractère ».

Signé : « Henri Stern dit Joseph, 15 rue Fauchier, Marseille »

Drôle de zouave

Quand vient la guerre, Henri Stern et mobilisé et affecté au 141e RI avant de rejoindre les Zouaves à Alger et Constantine, au sein des 1er puis 3e régiments. 7e régiment de tirailleurs indigènes. Il passe une majeure partie de la guerre en Algérie, entre Alger et Constantine.

Vieille carte postale du 1er Zouave en Algérie. Quelque part se cache peut être Henri Stern ?! (@internet)

Ses deux frères servent également dans l’armée française contre l’Allemagne. Louis, « breveté vélocipédiste » est engagé dans une unité du Train. Léon, engagé au 141e RI, est blessé dès août 1914 par un éclat d’obus ; fait prisonnier à Lunéville il est envoyé en captivité en Allemagne et ne sera rapatrié qu’en janvier 1919. L’historique de ce régiment sur Wikipédia précise : « en août 1914, au cours d’une charge à la baïonnette au nord-est de Lunéville, les hommes du 141e RI se font hacher par l’artillerie lourde allemande (…) et prennent conscience que la guerre ne sera pas l’affaire de corps à corps mais de puissance de feu. »

Marseille, zone libre (?)

Les archives sont discrètes sur la famille Stern dans l’entre deux guerre mais Henri et sa femme se séparent. Quand vient la seconde guerre mondiale, Henri vit toujours à Marseille. S’est il vraiment senti en sécurité en Zone Libre ? Pas longtemps assurément. Bien qu’en zone libre, il est vite rattrapé par les mesures antisémites du régime de Vichy qui impose dès 1941 aux juifs de se déclarer en mairie. Parmi ces déclarations de judéité enregistrées à Marseille se trouvent celle de Henri Stern, de sa nouvelle femme Berthe Kahn également originaire de Haguenau, et de ses deux frères Léon et Louis Stern.

1941, arrêté ordonnant le recensement des juifs de Marseille (source @AJPN)

Quand les alliés débarquent en Afrique en novembre 1942, les allemands réagissent en occupant immédiatement Marseille. Après des actes de résistance en janvier 1943, les Allemands réagissent en organisant des arrestations massives. Il y a tout juste 80 ans, les 22 et 23 janvier 1943, 1 642 personnes, hommes, femmes, enfants, sont arrêtées à Marseille par les polices allemandes et françaises et déportées. Parmi elles, Henri Stern, cette fois sans sa femme ni ses frères. Ont ils réussi à s’enfuir ? Avaient ils quitté Marseille avant la rafle ? Henri est transféré avec son beau frère Lazar Kahn (1877-1943) à Compiègne puis à Drancy. Déportés à Sobibor, ils meurent assassinés à Sobibor le 23 mars 1943. Sur les 804 juifs Marseillais déportés avec eux, aucun ne reviendra.

Parmi ses vieillards raflés et déportés à Marseille se trouve Henri Stern

La destruction des Vieux Quartiers

La folie nazie ne s’arrête pas à la déportation des juifs marseillais. Les Allemands décident de nettoyer la ville en rasant les Vieux Quartiers près du Vieux Port, regardés comme « le chancre de l’Europe » pour accueillir de nombreux étrangers, notamment italiens. Les policiers allemands et français évacuent de force 15 000 personnes et rasent à la dynamite 1 500 immeubles sur 14 hectares. Impossible d’imaginer quand on visite le bucolique vieux port que sa rive nord a été entièrement rasée par les nazis il y a 80 ans…

Façade du Mémorial des Déportations de Marseille (@Surnostraces)

A l’entrée du Vieux Port et à deux pas du Mucem se trouve aujourd’hui le Memorial des Déportations. Simplement passé devant, je n’ai pas encore eu l’occasion de visiter. La prochaine fois !

Racines Stern

Marseillais d’adoption, débarqué à Marseille à 2 ans à peine, Henri gardait il le moindre souvenir de son Alsace natale ? Probablement aucun. Son père Jacques Bernard Stern est né dans le Bas Rhin à Mommenheim en 1855. Après l’invasion allemande il est resté quelques années en Alsace, y a épousé sa femme Adèle Baum (également alsacienne) à Haguenau en 1878 avant de s’installer à Marseille en 1882. Pourquoi être resté 10 ans en Alsace occupée avant de repartir en France ? Impossible à dire évidemment mais les parents de Jacques Bernard étaient eux même tous deux d’origine allemande, venus s’installer en Alsace dans les années 1850. Sa mère Mina Schwab (1820-1891) venait de Fürth et son père Louis Stern (1823-1874) était originaire du village de Bieringen dans le Wurtemberg, berceau de cette famille Stern, à environ 150 km au nord est de Haguenau. Les parents de Louis, Ichok Baer Hirsch Stern (1787-1853) x Henriette Gotthilff (1796-1866), et ses grands parents, Hirsch Baruch Stern (1751-1828) x Maiele Wuerzburger (1748-1825), reposent paisiblement dans le cimetière juif local de Berlichingen. Leurs stèles ont traversés les âges jusqu’à nos jours.

Leur descendant Henri Stern n’aura jamais eu cette chance. A partir d’une simple photo retrouvée, cet article aura peut être modestement contribué à honorer sa personne, son histoire et sa mémoire. Il aura aussi pu redonner un visage à un nom abstrait. Car si les sites de Yad Vashem ou du Memorial ont bien identifié Henri Stern dans leurs bases de données, son portrait leur était manifestement inconnu. Une copie de cette carte leur sera adressée pour compléter leurs données et leur formidable travail de mémoire.

Cimetière de Berlichingen où reposent des ancêtres Stern (source Frankfurter Allgemeine Zeitung)

Sources utiles pour la rédaction de cet article et creuser l’histoire de Marseille :

https://www.marseille.fr/mairie/actualites/rafles-de-1943

https://books.openedition.org/pup/6871

4 commentaires

    • Promis le prochain article sera sur une photo ancienne très chouette et pour une fois pleine d’optimisme ! J’ai trouvé la photo, manque plus que trouver le temps de la rédaction

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