H comme … Hôpital Rothschild

Un hôpital gratuit, destiné à toute la communauté juive parisienne : c’est un doux rêve qui voit le jour en 1852 avec l’inauguration de l’hôpital israélite de la rue de Picpus.

Source : Bibliothèques patrimoniales de Paris

Loin du tumulte et près des champs

Son fondateur est le célèbre James Rothschild, illustre et riche banquier du 19e siècle. Arrivé à Paris en 1811, il devint en quelques années l’un des banquiers les plus riches et les plus célèbres de France  et voulut contribuer à aider au mieux sa communauté. Il s’est lancé dans l’aventure de la philanthropie en finançant l’ouverture du premier hôpital israélite de Paris (représentant la bagatelle de 400 000 francs de l’époque pour l’acquisition du terrain et la construction du bâtiment), suivie dans la foulée d’une maison de retraite, d’un orphelinat et d’un services des incurables.

C’était une noble idée, une conception généreuse que de fonder à l’extrémité orientale de Paris, loin du tumulte et près des champs, une double retraite pour les malades et pour les vieillards israélites.

Archives israélites de France

Destiné aux juifs de la capitale, l’hôpital développe également très tôt un service de consultations gratuites accessible à toutes les populations du quartier, sans distinction de religion.

Plan de l’hôpital Rothschild : le partie hommes à gauche, femmes à droite, et vieillards à l’extrême droite.
Le Moniteur des Architectes, Bibliothèques patrimoniales de Paris

D’un hôpital militaire à un centre de détention

En 1914, son fils Edmond de Rothschild poursuit la démarche philanthropique de son père James et finance la création d’un nouveau bâtiment, réalisé par l’architecte Lucien Bechmann. Le nouvel hôpital Rothschild, situé rue Santerre, ouvre ses portes au cours de l’année 1914, à quelques mètres de l’ancien Rothschild, dorénavant consacré à l’accueil des vieillards.

Le nouvel hôpital israélite rue Santerre, photographié par Willy Roniss

Déclaré hôpital auxiliaire militaire durant la Première Guerre mondiale, il reçoit les blessés du front et les civils victimes de la guerre sans distinction religieuse. Durant la période d’occupation allemande, l’hôpital est placé sous une direction agréée par l’occupant et devient un centre de détention. Au lendemain de la guerre, il retrouve sa fonction initiale d’hôpital destiné à soigner les malades de confession juive. Le 1er janvier 1954 la famille Rothschild fait don de l’hôpital à l’APHP contre le versement d’un franc symbolique.

Intérêt pour la généalogie juive

Le 12e, arrondissement à creuser

Avec la présence de cet hôpital et de cet hospice israélites, le 12e est depuis 1852 un arrondissement intéressant à creuser quand on cherche un ancêtre juif disparu à Paris. Alors que toute sa famille parisienne a vécu dans le Marais, j’ai mis quelque temps au début de mes recherches pour retrouver l’acte de décès de notre ancêtre Thérèse Wolff veuve Dalsheimer, décédée à l’hospice israélite 76 rue de Picpus.

Des archives uniques

Les archives de l’hôpital et de l’hospice Rothschild existent sûrement quelque part pour la période 1852 – 1914, mais n’ont pas été versées aux archives de l’APHP, vraisemblablement conservées par la Fondation Rothschild.

En revanche l’APHP conserve toutes les archives de l’hôpital (et que de l’hôpital, pas de l’hospice) à partir de 1914. Non encore numérisés, ces registres sont accessibles uniquement sur consultation sur place, dans les locaux du service archives de l’APHP au sein de l’hôpital du Kremlin Bicêtre. C’est une source précieuse pour tenter (avec un peu de chance) de retrouver la trace d’un ancêtre juif installé ou de passage à Paris. Ayant eu l’occasion de passer consulter ces archives, j’ai photographié de nombreux registres sur la période 1914-1945.

Les registres de la 2e guerre mondiale témoignent tristement des horreurs de la guerre et de la collaboration. L’hôpital accueille alors de nombreux déportés de Drancy comme du Vélodrome d’Hiver. Les registres donnent des informations précises sur l’origine et les parents des personnes passées par l’hôpital, pouvant constituer des sources précieuses pour l’histoire de ces personnes et de la shoah.

Registre de juillet 1942 suite à la rafle du Vel d’Hiv (Archives APHP 709 W 50, photo SurNosTraces)

Sur la période de l’entre deux guerre, beaucoup d’entrées concernent des naissances, avec des infos généralement précises qui détaillent le nom des parents du bébé mais aussi de la mère (plus précis donc qu’un acte de naissance). La transcription de ces registres est un travail de longue haleine un tantinet longuet (plusieurs dizaines de milliers de noms…) mais qui serait une source précieuse donnant un aperçu unique sur l’évolution de la population juive parisienne. De ce que j’ai pu constater, la plupart des personnes juives qui viennent dans cette hôpital israélite sont pour la plupart des émigrants récents. Les familles juives parisiennes intégrées de longue date semblent relativement peu représentées. Les nationalités les plus représentées sont (de très loin) les Polonais, suivis (liste non exhaustive !) des Français, Russes, Allemands, mais aussi Turcs (en particulier de Smyrne et Constantinople), Roumains, Hongrois, Autrichiens, Algériens, Grecs, Tchécoslovaques, Tunisiens, Bulgares, Lettons, Suisses, Lituaniens, Anglais, Belges, « Palestiniens », Italiens, Iraniens, Syriens, Marocains, Egyptiens, Danois, Argentins, Yougoslaves, Tonkinois, Ouzbeks, Libyens et même Afghans (de Tora Bora, plus connu récemment pour d’autres raisons…). De Tora Bora à la rue de Picpus, un parcours original et intriguant, peut-être un sujet pour un prochain article 😉

En attendant j’ai entrepris l’indexation des registres de l’hôpital Rothschild sur la période de l’entre deux guerres (article à retrouver ici).

Première page du registre de 1914 (Archives APHP 709 W 29, photo SurNosTraces)

6 commentaires

  1. Hôpital Rothschild : J’ai effectivement remarqué que parmi les déportés juifs nés à Paris, le plus grand nombre d’entre eux provenait du 12e, et de loin : 3111 naissances, bien avant le 10e avec 1158 naissances puis le 4e avec 951 naissances. J’ai attribué ce fait, d’une part, à la présence de cet hôpital destiné à la communauté juive et aux soins gratuits pour tous ces immigrés, d’autre part à la forte implantation des juifs judéo espagnols (grecs et turcs) dans ce quartier, telle la famille des grands parents de mon épouse.

    Ensuite, l’hôpital Rothschild a été le théâtre de beaucoup d’activités pendant la guerre, réseau de sauvetage, rafles dirigées par le SS Heinrichsohn comme Serge Klarsfeld l’a indiqué plusieurs fois dans son mémorial en 1978 :

    https://stevemorse.org/france/cv/Notices.pdf#page=148

    Convoi n° 45 en date du 11 novembre 1942
    La liste des partants est composé de 5 sous-listes :
    1. 35 pensionnaires de l’hospice Rothschild : désignés par Monsieur Heinrichsohn, 19 Polonais, 8 Russes, 7 Polonais, 1 Roumain. Parmi eux 6 octogénaires et 20 septuagénaires. Monsieur Salomon, Directeur de l’Hospice Rothschild, a relaté comment le SS Heinrichsohn a procédé à la désignation de ces vieillards hospitalisés : (« La persécution raciale », page 60) :
    « Le 9 novembre, le lieutenant Erichson [Heinrichsohn], adjoint de Röthke, alors grand maître de Drancy, se rend aux hospices. Il est en civil…il se fait présenter individuellement tous les hospitalisés, à l’exception des Français, Turcs, Espagnols. Il demande à un malheureux Allemand s’il désire retourner dans son pays. Il désigne 33 vieillards. Ceux-ci, répartis dans les différents services, doivent être remis dans des locaux distincts, privés non seulement de tout contact avec l’extérieur, mais même de toute communication avec les autres hospitalisés. »

    https://stevemorse.org/france/cv/Notices.pdf#page=150

    Photo : Début de la liste de vieillards juifs de l’hospice Rothschild désignés par le SS Heinrichsohn pour être déportés le 11 novembre 1942.

    https://stevemorse.org/france/cv/Notices.pdf#page=159

    Convoi n° 49 en date du 2 mars 1943

    Ce convoi emportait une majorité de vieillards arrachés à l’hospice Rothschild, ou arrêtés dans la rafle du 11 février à Paris : 317 âgés de plus de 70 ans ; 395 sexagénaires et aussi 35 enfants. Julie Crémieux-Dunand a évoqué cette déportation (pp. 81-82) :
    « Il y en a de valides, mais beaucoup d’impotents sur des brancards, d’autres qu’il faut soutenir et aider à marcher. Des volontaires sont demandés pour s’occuper de ces pauvres vieux et leur porter leurs bagages.
    Ces êtres si près déjà de la mort, sont affolés et demandent, d’une voix chevrotante, si c’est vrai qu’ils vont être déportés. Ils sont épuisés de fatigue et d’émotion, d’appréhension. Sans leur laisser une minute de repos, ils sont conduits à la baraque de la fouille, on les dépouille de presque tout ce qui constitue leur petit barda. Ils sont aussitôt dirigés sur les escaliers de départ, maris et femmes ensemble, ils coucheront sur la paille et, s’ils n’ont pas de couverture, on recouvrira leurs pauvres corps amaigris par l’âge, avec leur litière, plus ou moins sèche. Chacun reçoit un morceau de pain et une boisson chaude, un peu plus tard un peu de soupe servie dans de vieilles boîtes de conserve. »

    https://stevemorse.org/france/cv/Notices.pdf#page=226

    Heinrichsohn s’occupe particulièrement de la déportation des enfants et de celle des vieillards qu’il sélectionne lui-même sur leurs lits d’hôpital.
    Madame Marie Husson, née Spiegler témoigne :
    « Je me souviens avec précision du bel éphèbe qu’il (Heinrichsohn) était alors. Qui, en costume de cheval, auquel ne manquait pas le stick, paradait au milieu de notre détresse et de notre misère physiologique… Je n’ai pas oublié non plus le sadisme et la brutalité du SS Heinrichsohn évoluant au milieu de ce cauchemar hurlant, terrorisant ces pauvres petits enfants et celles qui, comme moi, s’occupaient d’eux ».
    « Je tiens à vous apporter mon témoignage » au sujet du SS Heinrichsohn, écrit Madame Odette Daltroff Baticle, « je l’ai malheureusement approché de très près au moment de la déportation des enfants de Drancy. Depuis cette époque, ce personnage me hante. Le bruit avait couru de sa mort sur le front russe. Je n’exagère pas en vous disant que je pense à lui presque chaque jour. De tous ceux que j’ai connus pendant cette triste époque, c’est Heinrichsohn qui m’a le plus frappée. En 1942-1943, je me suis occupée des enfants et j’assistais à toutes les déportations. Chaque nuit de déportation Heinrichsohn était là ; il était étonnant de voir ce jeune et beau garçon, élégant dans sa tenue de cheval, nous malmener et brutaliser les enfants, presque tous récalcitrants, avec une certaine jouissance. Sa présence était inutile, il venait par plaisir. Je pense que, parmi les SS, il a été un des plus sadiques. Depuis plusieurs années, je suis visiteuse à la prison de Fresnes : parmi les criminels que j’ai pu connaître, aucun ne me paraît aussi inhumain. »

    Un arrière grand père de mon épouse est décédé à l’hôpital Rothschild de mort naturelle juste avant que les SS viennent le chercher.

    Oui, il serait extrêmement judicieux de consulter ou scanner systématiquement ces archives, notamment pour la période 1942-1944. Par exemple, grâce à la page photographiée dans l’article, je note le décès de Riska PLISKIN, née en 1896 à Varsovie, couturière domiciliée 6, Rue Rampon, Paris 11, et venant de … Drancy. Cette femme n’est pas listée comme victime de la Shoah, mais à mon avis, elle a sa place dans le Mémorial de la Déportation des Juifs de France ( https://stevemorse.org/france ). Un David PLISKIN, né en 1888, domicilié à la même adresse, a fait partie du convoi 34 et c’est nul doute un membre de sa famille.

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