Pour cette dernière lettre du ChallengeAZ dédié aux soldats juifs de Napoléon, bienvenue sur les traces de Cerf Israel Hertz Zacharias.
La mappa de Zacharias
Côté état civil c’est pas très clair. A défaut d’actes d’état civil, inexistants pour les juifs avant la révolution, c’est souvent des actes de notoriété qui justifient en cas de besoin l’identité précise des individus. Ici le dossier d’officier de Zacharias apporte une pièce originale inattendue, en tout cas la seule que j’ai jamais trouvée dans mes recherches : la traduction d’une mappa. Une mappa ? Une tradition ashkénaze en vigueur dans l’Est de la France et en Allemagne consistait à réaliser une bande de tissu brodée à la naissance d’un enfant. C’est cette pièce qui est traduite ici de l’hébreu :
« Traduction d’une brodure en soye bleue sur un rouleau de toile blanc portant caractères hébraïques : Israel Cerf, fils du citoyen Cerf, est né à l’heureux moment le jour de samedi treize du mois de hyard, année cinq cent quarante cinq en mineur, qu’a rapport au 23 avril 1785, que Dieu le conserve pour être élevé à l’étude des bonnes moeurs et des bonnes conduites, amen, fait à Sarrelouis ».
Dans un article précédent (à retrouver ici et publié dans le magazine Genami n°95), j’avais présenté une mappa d’un autre soldat juif de Napoléon, retrouvée dans une gueniza allemande.
Par contre les noms écrits dans ses papiers, enfin sa mappa, ne sont pas ceux que notre soldat utilise à l’armée. D’où des confusions qu’il doit justifier dans son dossier d’officier consulté au Service Historique de la Défense à Vincennes. Son père le sieur Cerf Zacharias, assisté de 6 témoins, assurent que en fait Cerf Israel = Hertz Zacharias. La fluidité des noms / prénoms à cette époque participe au charme comme aux difficultés de la généalogie juive.
Petit neveu de Cerf Beer
Le dossier d’officier de Zacharias n’indique rien de plus sur sa famille. En revanche la communauté juive de Sarrelouis a été bien étudiée, notamment par le regretté Pascal Faustini. Dans son ouvrage « La communauté juive de Sarrelouis et environs entre 1680 et 1850 » on y trouve des précisions sur les parents de notre soldat. On apprend ainsi que son père Cerf ZACHARIAS (1751-1811) est né le 15 juillet 1751 à Kaiserslautern, fils de Zacharias JACOB, maître de la forge de Halberg près de Sarrebrück, et Rebecca, soeur du très connu Cerf BEER, fournisseur des armées du roi et représentant des Juifs d’Alsace en 1789 (celui là même dont le magnifique arbre généalogique a été présenté dans cet article). Neveu du grand Cerf Beer, Cerf Zacharias est venu à Sarrelouis vers 1776 et reçoit des lettres de privilège pour s’y installer. Son épouse est une certaine Judith, fille de Jacob Israel, préposé des Juifs d’Oberbronn. Les archives fiscales de la ville révèlent que Cerf Zacharias fait partie des foyers les plus aisés. Il aurait tout a fait pu payer un remplaçant pour éviter le service à son fils. Au contraire de cela, il l’envoie à l’école polytechnique récemment créée par Napoléon. Un certain sens de l’honneur.
Zacharias, X 1804 tombé au Portugal
Zacharias rentre à Polytechnique le 29 Brumaire an XIII. A sa sortie de l’X en 1806, il est nommé sous lieutenant au 17e régiment d’infanterie légère. Carrière très courte puisqu’il est rapidement envoyé au Portugal, où il meurt dès 1807. Je trouve toujours fascinant de savoir que des types ont traversé toute l’Europe à pied, avec leurs armes et leur bardas sur le dos, leurs souliers improbables, pour aller jusqu’au fin fond de la péninsule ibérique. Une pensée à tous mes amis portugais qui tentent à leur départ en vacances de faire le trajet France/Portugal en une seule journée ! Je n’imagine pas le temps qu’a du mettre notre Zacharias, pour atteindre le Portugal et y mourir. Wikipedia précise : « L’armée française s’est emparée du Portugal presque sans combat mais a perdu 1 700 hommes morts ou disparus pendant sa marche par épuisement et maladies. » Zacharias était l’un d’entre eux. A t il seulement atteint Lisbonne ?
Sur le memorial des polytechniciens morts dans les guerres
Zacharias décède au Portugal en 1807. Il apparaît sur le monument aux morts dressé en l’honneur de tous les polytechniciens morts à la guerre.
(© ÉCOLE POLYTECHNIQUE – J. BARANDE)
C’est l’un des très rares soldats, voire le seul, croisés dans ce ChallengeAZ dédié aux soldats juifs de Napoléon à avoir droit à sa trace sur un monument aux morts. J’imagine qu’il doit s’en ficher pas mal. Mais tous ces soldats morts pour avoir combattu et soutenu, de gré comme de force, les idéaux de la France révolutionnaire et de son héritier napoléonien mériteraient bien eux aussi une petite place dans nos nos monuments aux morts et notre mémoire collective.
Les polytechniciens morts dans les guerres (Magazine La Jaune et la Rouge N°727 Septembre 2017 par Hubert LÉVY-LAMBERT)
Bravo pour ce challengeAZ passionnant. J’ai appris plein de choses. Merci !
Merci, ravi de partager mes recherches 🙂
Bravo 👏👏 pour ce challenge passionnant – et très instructif !
Merci pour votre retour, ça fait bien plaisir merci
Voilà un bel article et une très bonne conclusion à ce superbe ChallengeAZ ! J’ai adoré, bravo !
Bonsoir Christelle, merci pour tous vos commentaires réguliers, plaisir de partager