La pénible affaire du Soleil d’Or

Tout ce qui brille n’est pas d’or. Retour sur « la pénible affaire du Soleil d’Or », un fait divers que j’ai croisé au cour de mes recherches, qui a piqué ma curiosité et marqué le Paris de 1720.

Un crime au Ciseau d’Or

A l’enseigne du Ciseau d’Or, le maître tailleur Husson établi rue Geoffroy Langevin propose quelques chambres à louer au coeur du Marais. C’est là que loge Aaron Goldschmidt, jeune négociant originaire d’Amsterdam, de passage à Paris avec sa femme et sa fille de 5 ans. Ce jeudi 28 novembre vers 17h, la nuit tombe tranquillement quand leur logeuse est soudain alertée par des cris d’enfant. Montée au 2è étage, elle découvre Marie-Anne, la femme de Aaron Goldschmidt, gisant dans une mare de sang avec sa fille en pleurs à ses côtés. La jeune mère est affreusement « blessée à la tête de plusieurs coups de marteau, particulièrement du côté senestre et l’os temporal entièrement enfoncé sur le cerveau et le petit doigt du côté droit coupé. » Aaron, lui, a disparu.

Rue Geoffroy Langevin, Paris (@Gallica 1705)

Gravement blessé, Marie-Anne survit quelques jours à ses blessures. De nombreux médecins défilent à son chevet sans réussir à la sauver : trépanée trois fois, elle décède quinze jours plus tard. On retrouve parmi les créanciers de sa succession pas moins de quatre chirurgiens pour « treize consultations, opération et assistance aux pansements », un apothicaire, et même un juif de Metz fournisseur de deux litres d’eau de vie, qui n’auront pas sauvé la sienne. De tels soins n’étaient évidemment pas à la portée de toutes les bourses. Mais la famille a quelques moyens. Agée de 26 ans, Marie-Anne Alcan est issue d’une grande famille de Lorraine et son frère Oulry Moïse Phoebus Alcan Rotschild est banquier à Nancy. Elle a épousé le négociant Aaron Goldschmidt à Amsterdam en 1714 à qui elle a donné une petite Marguerite.

Acte de mariage de Aaron Goldsmit et Maria Alkan à Amsterdam en 1714
(source @ Archives Amsterdam)

Gravement blessée, Marie-Anne raconte ce qui s’est passé. Vers 17h, deux personnes sont venues chez elle dont un négociant qu’elle connaissait pour être en affaires avec son mari. Marie-Anne les accueille et s’apprête à leur faire du thé quand elle est sauvagement attaquée par derrière à coups de marteau. Le motif crapuleux ne fait aucun doute. Le Journal de la Régence précise même que son petit doigt droit a été coupé car elle avait un diamant de grand prix qu’ils n’avaient pas réussi à lui enlever.

Extrait de l’enquête avec audition des témoins. Joseph Lamy signe en bas à droite ; Marie Anne Alcan « a fait entendre qu’elle ne pouvait signer attendu la faiblesse où elle était » (@Archives de Paris, Y//14517)

Marie-Anne réussit à décrire son assassin : il porte une perruque blonde, avec un manteau blanc, sur un habit cannelle galonné d’argent. Rapidement identifié, il est arrêté à deux pas au grand cul de sac de la rue Beaubourg où il loge. Il s’agit d’un certain Joseph Lamy (ou Levi suivant les sources), juif d’Amsterdam d’environ 40 ans, professant la foi catholique mais non baptisé, établi depuis dix-huit mois à Paris où il fait commerce de toutes sortes de marchandises notamment de thé. Confronté à Marie Anne, elle est catégorique : « Grace à Dieu, le voila le chien de bourreau quy m’a donné les coups de marteau » ! Joseph nie tout. Enfin au début. Car passé à la question, il finit par avouer son crime, qui comme un train peut en cacher un autre. Derrière le crime du Ciseau d’Or se cache le crime du Soleil d’Or.

Un crime au Soleil d’Or

Joseph avoue rapidement. Sa conscience d’apprenti chrétien est pour le moins chargée… Il explique que juste avant d’avoir massacré la jeune Marie Anne, il venait d’assassiner son mari Aaron Goldschmidt. Le crime eut lieu dans une chambre qu’il occupe à l’auberge du Soleil d’Or, rue Poupée au coeur du quartier de Saint André des Arts et de ce qui deviendra plus tard le Boulevard Saint Michel.

Plan de Paris, rue Poupée quartier Saint André des Arts (@Gallica)

Joseph reconnaît, aidé d’un complice, avoir assommé Aaron de deux coups de marteau à la tête avant de l’égorger et de cacher le corps au fonds d’une armoire. Le motif ? « Quatre millions en espèces et en pierreries » précise le Journal de la Régence. Marie-Anne Alcan les ayant vu partir ensemble, c’est pour supprimer ce témoin gênant qu’ils auraient décidé de l’assassiner. Et d’en profiter pour vérifier s’il ne restait pas encore quelques richesses à leur logis.

La récompense du crime

La justice a cette époque est rapide et implacable. Joseph est condamné par sentence du Châtelet à être rompu vif. Moins d’une semaine après le double crime, il est exécuté, roué vif en place de grève, sur la place de l’actuel Hôtel de Ville. Son complice en fuite est lui condamné à être « rompu en effigie », par contumace. Arrêté 12 ans plus tard il sera acquitté fautes de preuves suffisantes.

Sentence de mort contre le nommé Joseph Lamy, convaincu d’assassinat (@ Gallica )
Exécution d’un criminel roué vif en place de grève (source @Gallica)

Un cadavre à la Boule d’Or

« Arthur, où t’as mis le corps » se demandait Serge Reggiani avec insistance. La question mérite en effet d’être posée. Car où est passé le cadavre d’Aaron, ce juif étranger assassiné au coeur du Royaume de France ? Impossible évidemment de l’enterrer dans les cimetière chrétiens de la bonne ville de Paris. C’est tout simplement interdit aux Juifs, comme aux suicidés ou aux comédiens. Les juifs décédés à Paris à l’époque sont généralement tous enterrés hors des murs de la ville, dans le jardin d’un aubergiste Camot sur la route de La Villette.

Enfin presque tous, car Aaron est lui enterré « au village de Clignancourt près Paris, dans une maison sise à l’entrée dudit village ». D’après les scellés et l’acte d’inhumation, le propriétaire est un certain Michel Frère, maître boucher à Paris qui pour cette opération reçut 50 écus pour la fosse.

Plan de Paris et ses alentours (Roussel Lerouge 1730, @Gallica)
Clignancourt, plan Roussel 1730 (@Gallica), avec la « grande rue de Clignancourt » correspondant à l’actuelle rue Marcadet

C’est cette indication qui permet de retrouver la trace de Aaron. Quelques recherches aux archives de Paris nous en apprennent plus sur les Frère, une famille de bouchers bourgeois de Paris. Ils possèdent alors une maison sise « grande rue de Clignancourt », vers le numéro 110 de l’actuelle rue Marcadet. Au fils des années et du développement de la ville, le terrain des Frère devient le jardin « d’une de ces charmantes habitations de plaisance, qu’il était alors fort à la mode, pour les gens de qualité et les parvenus de la finance, de se faire bâtir aux portes de Paris, et que, par une très spirituelle équivoque, on se plaisait à nommer des folies » précise la Société d’histoire et d’archéologie Le Vieux Montmartre. Nommée « maison de campagne de la Boule d’Or », cette folie fut vendue en 1811 au baron Jean-Baptiste-Léon Michel, baron de Trétaigne et maire de Montmartre.

hôtel de Trétaigne avant 1900 (avec panneau A vendre !)
(@source Musée Carnavalet)

Son fils Léon-Michel de Trétaigne aurait sûrement apprécié d’apprendre cette anecdote historique, lui qui rédigea justement un ouvrage sur l’histoire de Montmartre et Clignancourt. La Boule d’Or, également appelé Hôtel de Trétaigne, fut finalement détruite début 20e pour y lotir des immeubles résidentiels sous lesquels repose quelque part Aaron.

Ciseau d’Or, Soleil d’Or, Boule d’Or, la tragique histoire de Aaron et sa femme n’est pourtant guère brillante. Je n’ai pas retrouvé la trace de leur petite Marguerite ; on peut espérer qu’elle a été recueillie et aidée par des proches, peut-être en Lorraine ou à Amsterdam. Si des généalogistes retrouvent la trace de cette Marguerite (qui avait aussi certainement un prénom juif) née vers 1715 de Aaron Goldschmidt et de Marie Anne Alcan, qu’ils me fassent signe !


Merci à toutes celles et ceux dont le travail et la contribution permettent ce genre de recherches. Voici les principales sources consultées pour la rédaction de cet article :

Archives Nationales (Y//14517, Châtelet de Paris ; MC/ET/XXXVIII/149 Contrat de mariage de Michel Frère ; Z/1j/545 estimation en 1720 de la maison de Marie Jeanne Frère à Clignancourt)

Archives Nationales, département des Estampes, « Déclarations du Roy qui règlent les limites de la ville et des faubourgs de Paris. Lettres patentes de 1724. »

Chronique de la régence et du règne de Louis XV, ou Journal de Barbier.
T. 1 (1718-1726)

Journal de la Régence : 1715-1723. Tome 2 / par Jean Buvat

Documents sur les juifs à Paris au XVIIIe siècle : actes d’inhumation et scellés / recueillis par P. Hildenfinger

Curiosités historiques et pittoresques du vieux Montmartre, par Charles Sellier

7 commentaires

  1. Bonjour Nicolas, Il existe un arbre de famille sur le site de myheritage.com surnomme le Kader web site et qui inclu la famille de Maria Goldsmit Kassel Levie (born Alcan-Rothschild) et de son mari Aron Goldsmit Kassel Levie et ils on trois enfants dont une fille Margarit. Il faut faire une demande pour etre inviter a joindre comme membre le Kader web site pour voir les donnees sur cette famille.
    Ah oui, j’ai habite rue de Tretaigne. Merci pour cette histoire. Olivier

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