« Fonds de Moscou »… Derrière ce nom énigmatique se cache un fonds d’archives au destin assez rocambolesque. Quand l’Allemagne nazie envahit la France en 1940, une de ses priorités fut de mettre la main sur ses archives militaires, administratives, policières,… Le savoir est une arme et posséder les archives était un moyen rapide et efficace d’acquérir ce pouvoir supplémentaire. C’est ainsi que toutes les archives de la police ont été saisies par les nazis dès 1940. Direction Berlin.
Mais quand la guerre bascule et que les Russes envahissent l’Allemagne vaincue, une unité russe est spécialement chargée de saisir les archives allemandes, mettant ainsi aussi la main sur celles volées en France par les nazis. Direction Moscou. Où ces archives ont dormi pendant plusieurs dizaines d’années jusqu’à la chute de l’Empire Soviétique et la fin de la guerre froide.
Début des années 90s, la fin de l’URSS et la détente permet de renouer des liens avec la Russie. C’est ainsi qu’entre 1994 et 2001 la Russie (déjà présidée par Poutine), accepta de restituer à la France un très important fonds d’archives, resté sous le nom de fonds de Moscou.
Qu’espérer y trouver ?
Ce fonds de Moscou comporte en fait principalement les archives de la police datant de la période de 1880 à 1940, et principalement des années 30, avec notamment la surveillance des militants politiques (anarchistes et communistes notamment), le contrôle des étrangers, les demandes de pièces d’identité, etc… Ce « fichier central de la Sûreté nationale » compte près de 650 000 dossiers nominatifs et représente la bagatelle de 10 kilomètres linéaires ! Autant dire que si votre ancêtre est venu se réfugier en France dans les années 30, ça vaut vraiment le coup d’aller jeter un œil à ce fonds aujourd’hui conservé en région parisienne, entre le site des Archives Nationales à Pierrefitte et le Service Historique de la Défense à Vincennes. Avec un peu de chance un dossier à son nom existe. Et avec énormément de chance ce dossier peut même conserver une photo de la personne en question (mais seule une infime partie des dossiers que j’ai pu consulter avaient une photo).
Comment chercher ?
Trouver des infos précises dans 10km d’archives n’est pas une mince affaire ! Heureusement l’indexation nominative des dossiers est bien avancée. La recherche commence en ligne, il suffit d’aller sur cette page du site des Archives Nationales.
Alors là deux options, suivant votre chance. L’indexation nominative des dossiers est bien avancée mais pas encore achevée. A ce jour (juin 2022), seules les lettres P, R, S et T n’ont pas encore été indexées et il va falloir soit attendre, soit creuser minutieusement en ligne comme indiqué dans la fiche d’aide détaillée (en ligne ici). En revanche pour les noms indexés c’est plus simple. Si votre ancêtre s’appelle par exemple Lewin, il suffit d’aller cliquer sur la lettre L (comme Logique, et Lewin 😉) puis d’affiner, en l’occurrence ici les « dossiers entre LEF et LEX ».
Ensuite perso je conseille de télécharger le pdf de l’inventaire qui détaille tous les dossiers concernés. Avec un lecteur pdf, facile de rechercher dans ce fichier le dossier concerné par mot clé, nom, prénom, etc…
Cela permet de trouver ici le dossier de Jankiel Lewin (refugié polonais déjà présenté dans cet article). On touche au but ! Il faut maintenant bien noter le numéro de la cote (ici 19940459/255 ; le numéro de dossier n’a pas d’importance). Avec cette cote, il est maintenant possible d’aller dans son espace personnel sur le site des Archives Nationales pour réserver le document. Il est ensuite indispensable d’aller sur place consulter le dossier (ou d’en commander une copie si vous ne pouvez pas vous déplacer).
Dans cet exemple, le dossier de Jankiel Lewin concerne une demande de papiers d’identité pour pouvoir travailler. On y apprend que Jankiel a été condamné à 4 ans de prison en Pologne pour propagande communiste. Entré clandestinement en France le 4 mai 1938, après avoir quitté ses parents, son frère et sa sœur, il vit à Besançon de ses quelques économies et « espère se créer des moyens d’existence par son travail. » Il a bien trouvé un employeur prêt à l’embaucher comme polisseur. Encore doit il avoir des papiers d’identité en règle. Il en fait la demande. Le préfet note bien que « depuis son arrivée à Besançon, Lewin n’a fait l’objet d’aucune remarque défavorable ». Pourtant il n’est manifestement pas rassuré par son profil politique de communiste et « estime que la présence de cet étranger dans son département frontière est indésirable et qu’il serait opportun de le diriger sur un département de l’intérieur ». Mais l’administration s’interroge : que faire de cet étranger clandestin ? Doit-il être refoulé ? Ou accueilli comme réfugié politique ? Mais le serpent administratif se mord la queue, les ministères se renvoient la balle inutilement. Après un an d’attente perdu dans les arcanes de l’administration française, c’est la guerre qui viendra clore ces tergiversations : Jankiel partira se réfugier à Cahors où il sera finalement raflé par la police française et déporté.
Et vous ? Avez-vous déjà eu l’occasion de faire des recherches dans ce Fonds de Moscou ? Des trouvailles intéressantes ?
Notre famille y a même retrouvé les seules photographies encore existantes de nos grands-parents déportés à Auschwitz (un rare moment d’émotion). vivement que le site de Vincennes fasse également son travail d’indexation pour faciliter la consultation. Comme d’habitude, merci Nicolas pour cet excellent article.
Bonjour Yann, bonne remarque, effectivement les dossiers du fonds de Moscou sont entreposés en partie à Pierrefitte et en partie à Vincennes, mais je pense que l’indexation est centralisée sur le site des Archives Nationales. Autrement dit, si un dossier nominatif n’apparaît pas sur le site des AN, je doute qu’il puisse exister à Vincennes. Je vais tout de même me renseigner auprès d’une spécialiste pour éclaircir ce point !