Au cours de mes recherches sur les soldats juifs de Napoléon, je suis tombé sur un soldat au parcours particulier, un certain David Lion, jeune parisien engagé comme hussard dans les armées de Napoléon. J’ai en plus eu la chance de retrouver à ce miraculé des neiges de Russie certains de ses descendants avec lesquels je suis en contact.
Une enfance parisienne, des origines vénitiennes
David Lion est né le 28 janvier 1790 à Paris (ou à Versailles suivant les sources). Sa famille est alors installée dans une impasse dénommée Cul de Sac Berthaud, près de la rue Beaubourg, quartier des Juifs « allemands » de Paris. Le père de David Lion, David Aaron, né vers 1738 à Venise, est un modeste colporteur de billets de loterie, installé « depuis 35 ans » à Paris. Sa mère, Madeleine Levy, née vers 1758, est originaire d’Oberdorf, dans le Haut-Rhin.
Le jeune David Lion débute comme postillon, c’est-à-dire chargé de mener des voitures à cheval. Quand vient le moment de la conscription, ses talents équestres l’orientent certainement assez naturellement vers la cavalerie.
C’est ainsi qu’il débute son service militaire en incorporant le 5e régiment de hussards le 20 août 1809.
Les hussards sont cette fameuse unité de cavalerie légère chargée d’éclairer l’armée, de reconnaître les positions de l’ennemi, de surveiller ses mouvements, de le harceler, de lancer des assauts éclairs et de protéger les convois de ravitaillement contre les embuscades. Les hussards portent un uniforme haut en couleurs caractéristique, avec un dolman (gilet) et une pelisse (veste) ornés de tresses et de boutons. Ils ont la réputation d’être des soldats particulièrement courageux et intrépides mais aussi bagarreurs et séducteurs.
Quand David arrive au 5e hussards en août 1809, son régiment vient de participer le mois précédent à la bataille de Wagram. Le 5e régiment de hussards rentre alors en France et tient garnison à Stenay, dans la Meuse. David l’a certainement rejoint là et effectué son entraînement militaire. 1810 et 1811 furent des années relativement calmes, en tout cas pour les troupes épargnées par le bourbier espagnol. Mais en 1812 se prépare la dramatique campagne de Russie.
En route pour Moscou
Pour la préparation de cette nouvelle campagne, l’escadron de David quitte Stenay en janvier 1812 pour Mayence puis Francfort et Berlin, avant de rejoindre la Pologne où se rassemble l’armée. Son régiment appartient à la réserve de cavalerie commandée par le prince Murat, 2e corps de cavalerie de Montbrun, 2e division de cavalerie légère sous les ordres du général Sébastiani. Le 24 juin 1812, le régiment franchit le fleuve Niémen au niveau de la ville de Kovno (actuellement Kaunas en Lituanie), avançant vers l’est avec la Grande Armée.
Le Niémen marque alors la frontière avec l’Empire russe. David ignore que c’est précisément à ce même endroit qu’il sera fait prisonnier six mois plus tard, après
la dramatique retraite de Russie. Le régiment de David atteint Vilna le 28 juin, puis Vitebsk le 28 juillet. Le 8 août, le 5e hussards se heurte à un retour offensif des Russes à Inkovo, près de Smolensk. Les 2 000 cavaliers de la division Sébastiani sont assaillis par 12 000 cavaliers russes appuyés par 18 pièces d’artillerie. Surpris par cet assaut, les cavaliers français résistent vaillamment mais sont obligés de céder le terrain. Le 5e hussards perd dans cette affaire trois officiers et une cinquantaine de cavaliers tués, blessés et prisonniers. David Lion est lui-même blessé ce jour-là d’un coup de lance reçu au côté gauche du cou. Les cosaques étaient réputés pour être des cavaliers virtuoses à la lance ; David Lion a frôlé la mort ce 8 août 1812.
Le 7 septembre, le 5e hussards combat à la grande bataille de la Moskova en participant aux charges de cavalerie. Cette rude « victoire » française ouvre la voie
de Moscou, au prix d’un très lourd bilan de près de 75 000 hommes perdus en cette seule journée pour les deux camps.
C’est d’ailleurs la bataille où le 5e hussards perdra le plus d’officiers. La capitale russe est finalement atteinte le 14 septembre et David fait partie des premiers soldats à y pénétrer avec son régiment, qui faisait partie de la 2e division de cavalerie légère entrée en tête dans Moscou. La revue du 5e hussards faite le 20 septembre à Moscou indique que sur les 750 hussards engagés au départ, il en reste alors moins de 400 en état de combattre et seulement 250 à posséder encore un cheval ! Et les déboires sont loin d’être terminés…
Une retraite désastreuse
Elle débuta fin octobre. Sous les coups du froid, de la faim, de la maladie et des attaques ennemies, la Grande Armée disparut dans les neiges de Russie. Impossible, en imaginant ce périple, de ne pas entendre résonner les célèbres vers de Victor Hugo dans son poème « L’Expiation » :
« Sombres jours ! L’Empereur revenait lentement,
L’Expiation, Victor Hugo
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant. (…)
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau. »
Il n’était plus question d’aller se battre en première ligne. Ce qui restait du 5e hussards avait dorénavant la tâche ingrate de protéger l’arrière-garde des incursions cosaques. L’historique du régiment permet de retracer son parcours
durant cette campagne de Russie. Smolensk est atteint le 12 novembre et Krasnoe le 15 (par une température tombée à – 25° C). Le 28, la Berezina est franchie (le régiment y perd son chirurgien-major, qui meurt noyé), et Vilna est atteinte le 10 décembre. La retraite est terrible. Les chevaux meurent en très grand nombre, de froid, d’épuisement et de faim, faute de fourrage et d’avoine. Nombreux sont ceux qui finirent dévorés par les soldats, laissant la plupart des cavaliers à pied.
Deux ans de détention en Russie
La fin du calvaire approche quand le Niémen est atteint en décembre par les débris de la Grande Armée. Hélas ! Au dernier moment, le 21 décembre 1812, à Kovno, David Lion tombe aux mains des Russes et est fait prisonnier. Dans ce désastre, la Grande Armée laissa entre 150 et 200 000 prisonniers, envoyés vers l’Est lors de marches éprouvantes durant lesquelles nombre d’entre eux périrent d’épuisement avant d’atteindre leur lieu de détention.
En 1814, Napoléon est finalement poussé à l’abdication et fait ses adieux à Fontainebleau. Le traité de paix du 30 mai 1814 prévoit une libération réciproque de tous les soldats prisonniers : David Lion qui a survécu est alors libéré et reprend le chemin de la France. On le retrouve le 1er novembre 1814, de retour à Stenay, comme l’atteste son dossier de pension qui précise : « A eu les deux pieds amputés dans l’articulation des os du métatarse avec les os du tarse, à la suite de congélation pendant la retraite de Russie, ce qui ne lui permet de se livrer à la progression qu’à l’aide de béquilles. Il est hors d’état de pouvoir subvenir à sa subsistance ». On ignore comment cet éclopé à béquilles a réussi à parcourir le chemin de retour si rapidement, en quelques mois à peine. Quoiqu’il en soit, son état ne lui permet pas de rester à l’armée, qu’il quitte avec une pension annuelle de 365 francs. Il ne vivra le retour de Napoléon et les Cent Jours qu’en simple spectateur.
D’après un spécialiste de ce régiment (Gérard-Antoine Massoni, Histoire d’un Régiment de Cavalerie légère, le 5e hussards de 1783 à 1815), sur les 786 hommes du 5e hussards ayant pris part à la campagne de 1812, 728 hommes auront disparu, soit 92,6 % de pertes ! David fait donc partie des rares miraculés de son régiment à être revenus en France.
Souvenez-vous quelquefois du gelé
Estropié mais vivant, David Lion est de retour à Paris, où il revient vivre chez son père, toujours Cul de Sac Berthaud. Il y retrouve son frère Aaron, mais non sa mère, décédée le 22 septembre 1812 au moment même où il se trouvait à Moscou.
David fonde un foyer : le 27 juillet 1818, il épouse Julie Lion à Paris. Le 1er mai 1819, naît une fille, Mathilde, suivie d’un fils, Isidore, qui naît le 9 août 1821, mais que David aura à peine le temps de connaître. Des recherches généalogiques approfondies ont permis d’identifier sa descendance et son entourage familial (article publié dans le magazine du Cercle de Généalogie Juive n°147).
Le général Lasalle avait eu ce mot célèbre :
« Tout hussard qui n’est pas mort à trente ans est un jean-foutre ».
David Lion n’en était assurément pas un ! Même s’il aurait certainement préféré faire mentir Lasalle, il décède juste après la naissance de son fils, le 11 septembre 1821, à Paris, à l’âge de trente et un ans. Un bicentenaire peut donc en cacher un autre !
Stendhal, qui participa lui aussi à la campagne de Russie, écrivit à l’un de ses cousins une lettre qui se terminait sur ces mots : « Souvenez-vous quelquefois du gelé ». Ces mots particulièrement bien pour David Lion.
Cet article est tiré de recherches publiées dans la revue du Cercle de Genéalogie Juive.
Miraculé certes, mais un pauvre malheureux quand même 😢
Encore un malheureux ! Quelle vie !
Bravo pour le récit de cette magnifique épopée . Je suis d’autant plus émue que le héros David Lion est le beau-frère de Jonas Lévy . Jonas Lévy étant le frère de mon ancêtre direct Edmé Mardochée Samson .
Un grand merci donc de faire revivre nos ancêtres .
[…] Parmi les décès identifiés, on retrouve celui de la petite soeur de notre soldat David Lion miraculé des neiges de Russie : […]
[…] Levy est le beau frère de David Lion, hussard miraculé des neiges de […]