Heureux qui comme Benjamin…

Heureux qui comme Benjamin à fait un beau voyage

En ce froid matin du 15 novembre 1814, Benjamin Preusse s’apprête faire un beau voyage. Enfin surtout un long voyage… Embarqué sur la flute l’Eléphant, un solide vaisseau de transport de marchandises et de troupes, il s’apprête à quitter l’île d’Aix pour rejoindre une autre île à l’autre bout du monde. Direction l’île Bourbon ! Ce grand gaillard de 23 ans et 1m74, châtain aux yeux bleus, est déjà un militaire aguerri puisqu’à 16 ans déjà il servait au 3e régiment impérial du corps d’artillerie de Marine quand son père écrivit cette lettre touchante à Napoléon.

Benjamin est né à Paris le 10 mars 1791, fils de Abraham et de Adélaïde Antoinette Benjamin. Il grandit à Tours où son père est capitaine d’artillerie puis rejoint en 1810 le 47e de ligne comme fusilier puis caporal.

Extrait du registre du 47e de ligne où Benjamin Preusse à servi à partir du 6 avril 1810.

Son dossier d’officier retrouvé au SHD (GR 2YE 3358) donne les précisions suivantes : « A fait les campagnes des années 1810, 1811 et 1812 en Espagne, 1813 en Saxe, 1814 en Allemagne, 1815, 1816 et 1817 aux Colonies ».

Présentation d’une Flute militaire (@ Wikipedia)

Pendant la restauration, Benjamin est envoyé servir à l’île Bourbon, actuelle île de la Réunion. Il y arrive le 3 avril 1815 après avoir quitté la France le 15 novembre 1814. Une bagatelle de 3 mois et demi de traversée ! Et accessoirement un changement politique majeur avec le retour de Napoléon et la fuite de Louis XVIII pendant leur parcours en mer ! Quand précisément apprendra-t-il les nouvelles de France et comment réagira t il ? Impossible à dire, en tout cas Benjamin est nommé le 15 juin 1815 brigadier puis maréchal des logis de la maréchaussée locale. La veille de Waterloo… Là encore les nouvelles du désastre mettront certainement plusieurs semaines voire mois à lui parvenir.

Benjamin reste à Bourbon de 1815 à 1817, année marquée par l’abolition (au moins théorique) de l’esclavage sur cette ile. Benjamin revient ensuite en France sur la flute La Normande, dont une magnifique maquette est conservée au Musée de la Marine.

Et plus que l’air marin, la douceur angevine

Benjamin quitte Bourbon le 3 septembre 1817 et débarque à Rochefort le 24 décembre 1817. Près de 4 mois de traversée de retour pour retrouver la douceur angevine. On entend résonner avec lui les vers de Joachim du Bellay.

Heureux qui, comme Benjamin, a fait un beau voyage,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Et plus que l’air marin la douceur angevine.

Sauf qu’à son retour en France, le contexte politique et militaire a fortement changé. Congédié, il reste malade quelque temps à Tours où vit sa mère veuve, peine à se faire payer ce que l’armée lui doit, et réussit enfin à se faire engager à la Légion du Loir et Cher comme sergent major.

Extrait du dossier de pension de Benjamin Preusse
(@ SHD 2YE 3358, photo SurNosTraces)

Sur le plan familial, Benjamin épouse en 1834 à Paris Apolline Perin, une veuve limonadière de 45 ans. Un acte de notoriété signé par ses amis et collègues du régiment certifie que Benjamin est né à Paris le 10 mars 1791, en précisant toutefois qu’il est dans l’impossibilité de produire son acte de naissance. « Son père qui est décédé ne professait pas la religion catholique, il ignore sur quelle espèce de registre sa naissance a été constatée ». Le fait qu’il n’y ait aucun commentaire sur sa mère indique t il qu’elle était catholique ?

Benjamin s’éteint à Angoulême en 1867 à l’âge de 75 ans, présenté comme célibataire, apparemment sans descendance. Aura t il eu seulement le plaisir de partager le soir à la veillée auprès d’enfants émerveillés ses aventures militaires et ses longues traversées océanes ?

Acte de décès de Benjamin Preusse, capitaine en retraite
(@ Archives Municipales d’Angoulême)

En tout cas ses deux autres frères Léon (1790-1803) et Félix Lisbonne (1796-1834) étant également décédés sans laisser de descendance, avec lui s’éteint le patronyme Preusse de cette famille. Un parcours pourtant singulier que celui de cet Abraham, venu des confins de l’Europe pour épouser les idéaux de la Révolution française et de l’Empire en devenant l’un des tous premiers généraux juifs de l’armée française.

« La France s’honorera toujours de recevoir ceux qui viendront se ranger sous ses drapeaux, et quelle que soit leur patrie, ils ne seront jamais étrangers pour
elle »
proclamait l’Assemblée législative en 1792. Cette recherche aura essayé de sortir de l’oubli, honorer et partager le destin hors du commun de Abraham Preusse et ses descendants qui sont une parfaite incarnation de cette ambition.

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