Abraham Preusse, premier officier juif de France

Le dossier d’officier d’Abraham Preusse qui prit la plume pour écrire à Napoléon dévoile son parcours militaire.

Abraham Preusse est né le 10 septembre 1750 à Königsberg, capitale de la province de Prusse Orientale, à plus de 1 700 kilomètres de Paris. Peut-être a-t-il croisé Kant (1724-1804), célèbre personnalité de la ville ? D’après Wikipedia, Königsberg comptait 307 juifs en 1756.

Un pionnier de la Légion Germanique

Abraham s’installe à Paris à 28 ans, en 1778. Il est possible qu’une fois arrivé en France, son nom « Preusse » désigne en fait simplement son lieu d’origine et ne soit pas son véritable nom, les juifs de cette époque n’ayant de toute façon pas de patronyme fixe. Abraham venant de Prusse a pu se faire appeler Abraham Preusse. Quand éclate la révolution, il rejoint en 1789 la Garde Nationale comme une centaine de Juifs parisiens. Il demeure au 31 rue du Grenier St Lazare et rejoint la section de la Réunion / rue Beaubourg. La France s’active pour lever des armées et fait appel à tous les citoyens partageant ses valeurs, quelle que soit leur nationalité. « Elle s’honorera toujours de recevoir ceux qui viendront se ranger sous ses drapeaux, et quelle que soit leur patrie, ils ne seront jamais étrangers pour elle ». C’est ainsi qu’est créée, entre autres, une Légion Germanique.

Certificat de civisme délivré par la section de la Réunion de la Garde Nationale

Fervent soutien des idées révolutionnaires, Abraham abandonne femme et enfants pour défendre sa Patrie d’adoption : « Dès le moment de la révolution il s’est dévoué à la défense de la Patrie. Dès que l’on a formé des nouveaux corps, il a été l’un des premiers à s’y enrôler et est parti en 1792 Sergent Major de canonniers de la Légion Germanique créée à Paris. »

Extrait du dossier d’officier de Abraham Preusse
(@Source SHD 2YE 3358, photo SurNosTraces)
Uniforme de la Légion Germanique de 1792 (source Internet)

Cette Légion Germanique est une initiative lancée en 1792 censée créer une unité composé de volontaires patriotes allemands ou tout du moins en grande partie germanophones, même si des Français comme Marceau ou Augereau en feront partie. Cette unité sera notamment impliquée dans les guerres de Vendée. C’est d’ailleurs dans un de ces combats que notre Abraham est sérieusement blessé, le 7 juin 1793 à la bataille de Doué. Cet affrontement entre Vendéens royalistes et soldats Républicains aboutira à la prise de Saumur par les Vendéens deux jours plus tard.

Premier officier juif de l’armée Française ?

Abraham est « dangereusement blessé le 7 juin 1793 à l’affaire de Doué contre les brigands de Vendée et par suite étant dans son lit fait prisonnier ». Son certificat médical précise qu’il a reçu un « coup de feu dans les parties honteuses ». Il survit et est alors nommé capitaine en second dans une compagnie d’artillerie attaché au 22e régiment d’infanterie légère.

A cause de sa blessure, il est néanmoins déclaré bon à être réformé et est alors envoyé au dépôt de Tours où il reste du 6 ventôse an IV (25 février 1796) jusqu’à sa fermeture le 1er fructidor an V (18 août 1797). Abraham est alors renvoyé dans ses foyers à Paris, avant de perdre son traitement de réforme et se retrouver sans aucun revenus. « Le commissaire de guerre lui signifia qu’il était rayé du tableau sans explication des motifs ».

« N’ayant d’autres ressources que l’état militaire pour lequel il a tout sacrifié » et ayant perdu son traitement de réforme pour ses infirmités, Abraham demande alors en Germinal an VII (mars 1799) à rejoindre à nouveau le service actif des armées. Un nouveau certificat médical au Val de Grâce le déclare apte et Abraham, « brûlant du plus grand désir d’être de nouveau actif à sa Patrie et de verser son sang pour elle« , est alors réintégré dans l’armée active pour deux ans, jusqu’au 27 juillet 1801. Il jouira alors d’une retraite bien méritée avec une pension de 1 235 francs pour sa blessure et ses 10 années, 10 mois et 23 jours de service.

Abraham Preusse est le premier ou l‘un des premiers officiers juifs de l’armée française (apparemment premier exaequo, en l’état actuel des connaissances). Abraham dispute ce titre avec un autre soldat juif originaire de Metz, Anselme Nordon, nommé officier dans le même régiment et aux mêmes dates ! Deux parcours parallèles : tous deux volontaires de la Garde Nationale parisienne, tous deux nommés lieutenants dans la Légion Germanique le 4 septembre 1792, tous deux nommés capitaines le 12 août 1793 dans le même régiment, tous deux blessés en Vendée et réformés, avant de reprendre tous deux du service, et de prendre enfin une retraite bien méritée après une dizaine d’années de service chacun.

Pour être réintégré dans l’armée, outre le nouveau certificat médical, Abraham a sollicité une recommandation auprès de ses anciens compagnons. Son régiment salue cet homme qui « a toujours servi en homme d’honneur et en probité depuis le commencement de la révolution « 

Extrait du dossier d’officier de Abraham Preusse
(@Source SHD 2YE 3358, photo SurNosTraces)

Vie familiale

Si le dossier d’officier est discret sur la vie personnelle de Abraham, des recherches complémentaires ont permis d’identifier une famille. Sa femme est une certaine Adélaïde Marie Antoinette Benjamin, décédée à Tours le 20 octobre 1821 à l’âge d’environ 63 ans, sans autre précision sur ses origines. Probablement juive mais sans certitude. Bien que blessé, Abraham aura avec sa femme 7 enfants, dont 6 ont atteint l’âge adulte et se sont mariés, tous avec des catholiques :

  • Léon, décédé à Tours en 1803 à l’âge de 13 ans, né à Paris en 1790
  • Benjamin, né à Paris le 10 mars 1791. Abraham était donc au moins déjà deux fois père quand il s’est engagé dans la légion Germanique. Benjamin sera également soldat, un prochain billet de blog lui sera dédié.
  • Agathe Marie, née à Tours le 4 brumaire an III (25 octobre 1794), épouse Percilliée
  • Marie Adélaïde, naissance non identifiée, épouse Bizet,
  • Felix Lisbonne, né à Tours le 28 frimaire an V (18 décembre 1796), époux Buhourd Dargy. Il décède relativement jeune en 1835 à Paris. Si on ignore son parcours militaire, on retrouve dans son inventaire après décès « un étui à chapeau en cuir et un bonnet de grenadier« , ainsi qu’une malle avec « un habit, un pantalon, une capote en drap bleu formant l’équipement de grenadier de la garde nationale, un buffleterie et un baudrier » (source AN MC/ET/LXXXIV/919)
  • Victorine, née à Tours le 21 frimaire an IX (12 décembre 1800), épouse Lefievre,
  • Julie, née à Tours le 26 ventôse an XI (17 mars 1803), épouse Dunoyer,

Petite incohérence, Abraham annonçait en 1807 à Napoléon être en charge d’une famille de 5 enfants. Si on met de côté Léon décédé en 1803, ça en fait toujours un de trop… Dur à croire qu’Abraham ait pu oublier un de ses enfants adultes ! Peut-être que la Marie Adélaïde Preusse épouse Bizet, simplement croisée comme témoin sur un acte, ne fait elle qu’un avec la Agathe Marie épouse Percilliée qui se serait remariée. Toutes deux résident à Paris ; l’absence de l’état civil parisien à cette période n’aide pas à retracer avec exactitude la descendance de cette famille ayant un pied à Tours et l’autre à Paris.

Le seul juif de son département

Bizarrement lors de la prise de nom imposée aux juifs en 1808, Abraham n’apparaît ni à Paris, ni à Tours où le préfet déclare n’avoir aucun juif dans son département. Installé à Tours par les hasards de son parcours militaire, Abraham semble y avoir été sous l’Empire le seul juif du département.

Abraham décède à Tours le 5 novembre 1811 et ne verra jamais la chute de l’Empire. Ce capitaine d’artillerie transmettra la fibre militaire à son fils Benjamin, également soldat dans l’artillerie. Mais ceci est une autre histoire à suivre dans un prochain (et dernier) billet de blog…

Acte de décès de Abraham Preusse à Tours (@ Archives Départementales)

Un commentaire

  1. […] En tout cas ses deux autres frères Léon (1790-1803) et Félix Lisbonne (1796-1834) étant également décédés sans laisser de descendance, avec lui s’éteint le patronyme Preusse de cette famille. Un parcours pourtant singulier que celui de cet Abraham, venu des confins de l’Europe pour épouser les idéaux de la Révolution française et de l’Empire en devenant l’un des tous premiers généraux juifs de l’armée française. […]

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