Lors d’un passage aux Archives Nationales de Pierrefitte, au cours de mes recherches sur les soldats juifs de Napoléon, je suis tombé sur un document touchant qui a titillé ma curiosité. Une lettre d’un certain Abraham Preusse, capitaine retraité, qui prend sa plume pour écrire à sa majesté l’Empereur des Français, Roi d’Italie et Protecteur de la Confédération du Rhin.
Jaloux d’élever ses enfants
Dans cette lettre d’une page, il « ose déposer aux pieds de sa Majesté ses peines et ses espérances ». Sa requête est simple : « Jaloux d’élever ses enfants et de leur donner une éducation convenable, il désirerait en trouver le moyen dans les bienfaits du gouvernement. » L’heure n’étant pas encore à demander une revalorisation des retraites, il réclame simplement un petit boulot pour avoir un complément de retraite et pouvoir élever dignement ses enfants. Il demande ainsi un « emploi dans les Droits réunis, ce qui en augmentant sa solde de retraite pourra lui assurer sa subsistance et principalement l’entière éducation de ses enfants, seul but où il veut atteindre. » Les droits réunis étaient une administration chargée de certains impôts. Il demande donc un simple petit emploi administratif.
Seul petit hic, il est juif. » Sa pension ne pouvant suffire à leur éducation, il a sollicité plusieurs fois un modique emploi qui le mit à portée d’y faire honneur. Après lui en avoir donné l’espérance, on a trouvé contre lui un motif d’exclusion de ce qu’il n’est pas né dans la religion catholique. »
Une profession de foi scellée dans le sang
Juif mais soldat, voilà qui devrait plaire à Napoléon. « Il est né dans la religion israélite. Il adore le dieu des armées qui a couronné en votre Majesté le sauveur du monde. Sa religion est d’être fidèle à Dieu tout puissant, à Napoléon le Grand et aux lois de l’Empire Français, voilà sa profession de foi qu’il a scellée de son sang. » Quel fut donc ce sceau ? Son fils ainé est également soldat. « Il est dans ce moment père de cinq enfants, dont le premier âgé de seize ans sert dans le troisième régiment du corps impérial d’artillerie de Marine, ses quatre autres fréquentant les écoles ». Dernier argument et non des moindres pour l’époque, « ses enfants ont toujours été élevés dans la religion chrétienne ».
Bref Abraham semble un soldat valeureux simplement désireux d’élever convenablement ses enfants. Mais absolument rien sur lui sur internet ni sur les sites de généalogie. Il n’en fallait guère plus pour titiller ma curiosité et me lancer sur les traces de cet illustre inconnu. C’est parti pour une enquête singulière où l’on parlera de Preusse mais aussi de Prusse, de guerre, de voyages, de Révolution, d’Empire, de brigands de Vendée, de Légion Germanique, de Bourbon et même d’éléphant…
De quand date cette lettre ?
Non datée, on sait néanmoins qu’elle est adressée à Napoléon sous le titre, entre autres, de Roi d’Italie, royaume ayant existé entre 1805 et 1814. Napoléon est également désigné comme Protecteur de la Confédération du Rhin, titre qu’il a eu entre 1806 et 1813. Des recherches complémentaires, notamment grâce à l’indication de l’âge de son fils Benjamin, permettront une estimation plus précise aux alentours de 1807.
Sur la trace des Preusse
Qui dit capitaine retraité dit retraite. Et qui dit retraite dit pension militaire. Direction donc au Service Historique de la Défense (SHD) à Vincennes dans la série 2YF qui conserve les dossiers de pension des militaires de cette époque. Mais petit souci, l’inventaire nominatif des pensions n’indique aucun dossier au nom de Preusse (ni sous des orthographes proches). Oubli ou erreur, ce n’est en tout cas pas par ce biais que l’on pourra en savoir plus sur notre Abraham.
Mais qui dit capitaine retraité dit aussi capitaine et donc officier. Direction donc cette fois la série 2 YE, toujours au SHD, qui conserve les dossiers des officiers de cette époque. Et là l’index donne deux dossiers nominatifs prometteurs, Abraham et Benjamin Preusse. Abraham est dit capitaine, c’est donc très vraisemblablement notre homme.
Ce carton 2YE 3358 semble assez prometteur pour apporter des précisions sur nos soldats Preusse. Affaire à suivre dans un prochain billet…
Vous êtes formidable.Bonne continuation de vos recherches et trouvailles. Cordialement, Eliane Roos Schuhl (CGJ)………………………………
[…] Abraham Preusse est né le 10 septembre 1750 à Königsberg, capitale de la province de Prusse Orientale, à plus de 1 700 kilomètres de Paris. Il a pu y croiser Kant (1724-1804), célèbre personnalité de la ville. Il est possible qu’une fois arrivé en France, son nom « Preusse » désigne en fait simplement son lieu d’origine et ne soit pas son véritable nom, les juifs de cette époque n’ayant de toute façon pas de patronyme fixe. Abraham venant de Prusse a pu se faire appeler Abraham Preusse. D’après Wikipedia, Königsberg comptait 307 juifs en 1756. […]
[…] En ce froid matin du 15 novembre 1814, Benjamin Preusse s’apprête faire un beau voyage. Enfin surtout un long voyage… Embarqué sur la flute l’Eléphant, un solide vaisseau de transport de marchandises et de troupes, il s’apprête à quitter l’île d’Aix pour rejoindre une autre île à l’autre bout du monde. Direction l’île Bourbon ! Ce grand gaillard de 23 ans et 1m74, châtain aux yeux bleus, est déjà un militaire aguerri puisqu’à 16 ans déjà il servait au 3e régiment impérial du corps d’artillerie de Marine quand son père écrivit cette lettre touchante à Napoléon. […]