Encore quelques vieilles photos de famille glanées sur un site de petites annonces et le début d’une nouvelle enquête. Drôle de sort pour ces portraits d’êtres chers qui finissent souvent anonymes perdus parmi tant d’autres vieux papiers. Ici au dos, quelques noms permettent de sauver ces personnages sépias de l’oubli et de retracer leur histoire. Ces quelques clichés proviennent manifestement d’un album de photos de la famille Klotz.
Ce gros bébé joufflu, habillé en robe comme il était aussi d’usage à l’époque pour les garçons, est Georges Klotz, fils de Victor Klotz et Brunette Meyer. Sous ces robes délicates se cache le destin épique et tragique du fils d’un capitaine d’industrie. Bienvenue sur les traces de la famille Klotz.
Symbole du luxe et du raffinement de la Belle époque
Parmi les photos identifiées, le patriarche est un certain Victor Klotz (1836-1906). Issu d’une famille juive alsacienne originaire de Wissembourg, il connut son heure de gloire dans le Paris de la Belle Epoque. Homme d’affaires avisé et philanthrope, il reprend et dirige avec succès la maison de parfums et cosmétiques Ed. Pinaud. Aujourd’hui tombée dans l’oubli, cette maison de parfums était l’une des plus célèbres à l’époque. Cofondée par son beau père Emile Meyer aux côtés de Edouard Pinaud, Victor Klotz la reprend en 1883 et accélère son développement avec succès. Comme l’indique la page histoire de la maison Pinaud :
» À la fin du 19eme siècle, l’Exposition Universelle de Paris de 1889 décerne son grand prix à la composition Ixora, créée sous la direction du dernier grand chef de la maison Pinaud de cette fin de siècle, Victor Klotz. Toujours à la pointe de la recherche, la maison Edouard Pinaud invente sans cesse. Klotz sillonne la planète pour internationaliser toujours plus la marque et être présent dans chaque pays. A l’aide de plusieurs correspondants et hommes de confiance, il crée des produits uniques à l’effigie des personnes influentes dans tous les pays, offrant cadeaux précieux et parfums. »
La fortune sourit à Victor. La maison multiplie les succès, dont le parfum Flirt « symbole du luxe et du raffinement de la Belle époque« . Victor s’achète pour un million de francs l’hôtel particulier situé au numéro 9 de la rue de Tilsitt au pied de l’Arc de Triomphe (aujourd’hui ambassade de Belgique) et ouvre en 1897 une nouvelle boutique au 18 Place Vendôme (aujourd’hui occupée par Chanel).
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A travers le développement de son entreprise de parfums et cosmétiques, Victor contribue au rayonnement de la France à l’étranger notamment à travers une active participation aux différentes expositions internationales (Paris 1889, Moscou 1891, Chicago 1893, Bruxelles 1897, Paris 1900,…). Il est nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1894 au titre du commerce et de l’industrie, puis Officier de la Légion d’honneur en 1902.
Il est notamment récompensé pour son action sociale à la tête de l’entreprise et la mise en place d’un système de retraite pour ses salariés. Son dossier de Légion d’Honneur précise : » Médaille d’or à l’Exposition Universelle de Paris 1900 pour une institution de prévoyance patronale en faveur des ouvriers de la parfumerie Ed. Pinaud leur constituant, par des gratifications annuelles et croissantes avec l’ancienneté un capital de retraite, sans aucune retenue sur leurs salaires. »
Sur le plan familial, Victor épouse en 1863 à Paris Brunette Meyer, fille de Emile Meyer cofondateur de la maison Ed Pinaud. Ils auront deux fils, Georges et Lucien Henry.
En 1908 Henry et George Klotz prennent la succession de leur père décédé en 1906. Ils parviennent à établir la marque sur les cinq continents et s’implantent dans des lieux d’exception comme la 5e Avenue à New York en 1908.
(@ Source internet)
La maison est alors à son apogée. Lucien Henry est nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1906 puis Officier en 1925. Georges est également nommé Chevalier en 1912 puis Officier (son dossier est hélas absent des archives en ligne.)
Mais la guerre vient mettre un terme à ces succès. Engagés militairement dans la première guerre mondiale, ils ne peuvent plus gérer efficacement le développement de leur entreprise. Puis après guerre, coup fatal, la crise de 1929 vient achever cette réussite et les Klotz font faillite en 1931.
Pendant la seconde guerre mondiale, 9 membres de la famille Klotz vont être arrêtés, déportés et assassinés. Georges est arrêté par les nazis et/ou la police française collabo. Interné à Drancy, il est déporté le 31 juillet 1944 dans le convoi 77, dernier des grands convois. Il meurt assassiné à Auschwitz aux côtés de deux filles de son frère Lucien Henry, Denise et Lucienne Klotz. Son frère Lucien Henry est quant à lui également arrêté mais, paraplégique, il est interné à l’hôpital Rothschild alors sous contrôle allemand, où il décède le 18 août 1944 à 5h du matin.
(@ photo Surnostraces)
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Le stèle funéraire de la famille Klotz dans le cimetière parisien de Montmartre révèle l’ampleur de la tragédie de la Shoah sur cette famille française parfaitement intégrée, appréciée, décorée et assassinée. 9 membres de cette famille seront victimes, la plupart déportés dans le convoi 77 : Henry Klotz, son fils François, ses deux filles Lucienne et Denise, son frère Georges Klotz, son beau-frère Maurice Sergine, sa nièce Claudine Sergine, ses cousin et cousine Fernand et Louise Ochsé, son neveu André Hayem. L’association « Convoi 77 » qui fait un remarquable travail de mémoire avec les scolaires a dressé une biographie de Lucienne et Denise Klotz. Selon l’un des témoignages recueillis, c’est un homme se présentant comme résistant et qui devait soit-disant les aider à faire de faux papiers qui serait à l’origine des arrestations de cette famille. On se prend à espérer que l’enfer éternel existe pour accueillir ce misérable.
En tout cas ces quelques photos jaunies par le temps auront permis d’honorer le souvenir de cette famille, et de retracer brièvement son parcours au croisement de la petite histoire et de la Grande Histoire. Paix à leurs âmes.