3 Bornes et 1 Enterrement

On le sait, les émeutes de la Commune ont détruit l’état civil parisien. La série DQ8, archives fiscales destinées au traitement des successions et qui a fait l’objet d’un article ici, s’avère une source intéressante pour pallier le manque d’actes de décès. En étudiant les données concernant les populations juives parisiennes du milieu du 19e siècle, j’ai constaté la nette sur-représentation d’une adresse particulière. Le 26 rue des Trois Bornes.

Pourquoi cette modeste adresse au coeur de l’actuel 11e arrondissement a t elle enregistré un nombre important de décès ? Peut-être était-ce un grand immeuble très densément peuplé par la communauté juive de l’époque ? Peut-être une épidémie ?

Extrait du registre DQ8 des 5 et 6e anciens arrondissements, lettre S année 1845 : Bonne Samuel, Abigail Soria et Isaac Sichel sont tous 3 décédés cette année là au 26 rue des Trois Bornes (source Archives de Paris, DQ8 714 vue167)

Pour éviter de me perdre en conjectures, des recherches dans la presse de l’époque m’ont rapidement permis d’élucider ce mystère. Ainsi un article de 1887 publié dans la Revue des Deux Mondes lève le voile sur cette adresse :

« Au mois de janvier 1841, le comité [Comité Israélite de Bienfaisance de Paris] fit un effort, réunit des souscriptions et put louer une maison rue des Trois-Bornes ; les travaux d’appropriation exigèrent plus d’une année, et ce fut seulement à la date du 1er avril 1842 que les salles, contenant ensemble douze lits, purent s’ouvrir aux malades. Douze lits pour répondre aux exigences de deux mille indigents inscrits sur les registres du consistoire, c’était bien peu ; mais l’effet fut considérable, car on accentuait ainsi la volonté de donner aux juifs malades la sécurité morale qui leur manquait dans nos hôpitaux.

Le 26 rue des Trois Bornes aujourd’hui (photo @SurNosTraces)

Nulle cérémonie extérieure, nulle inauguration solennelle ne sollicita l’attention publique, que l’on sembla, au contraire, prendre à tâche d’éviter. On eût dit qu’encore à cette époque, le judaïsme n’avait point abandonné les habitudes de mystère derrière lesquelles on l’avait refoulé pendant si longtemps. L’exiguïté de la maison était telle que l’on fut obligé de n’y admettre que des adultes atteints de maladies aiguës et que l’on repoussa les malades frappés des affections que l’on traite dans des établissements spéciaux. En somme, c’était plutôt une ambulance qu’un hôpital, et l’on ne tarda pas à reconnaître qu’elle n’était pas en rapport avec une population qui s’accroissait de jour en jour. On voulait s’agrandir, on désirait acheter un terrain situé rue de Ménilmontant et y construire un bâtiment de dimensions plus amples et plus généreuses. Des pourparlers furent échangés à ce sujet, en 1846, et le consistoire était préoccupé de trouver les moyens de mener son projet à bonnes fins, lorsque James de Rothschild fit savoir qu’il avait l’intention de fonder une maison de secours exclusivement réservée à ses coreligionnaires. (…) Le « banquier estimé » était devenu l’un des potentats du marché européen, et sa situation exceptionnelle en faisait le protecteur de ses coreligionnaires ; loin d’hésiter devant ce rôle, il l’accepta avec ardeur, s’en montra digne et le transmit à ses enfants, qui n’ont point répudié l’héritage.

James de Rothschild acheta, rue Picpus, un terrain contenant à peu près 13,000 mètres superficiels, et y fit construire un hôpital. Par un acte en date du 7 avril 1852, il en faisait don au consistoire de Paris, à la condition que cette fondation serait à perpétuité destinée à recevoir des malades et des vieillards israélites. Cette fois, l’inauguration n’eut rien de mystérieux : le ministre des travaux publics, qui était M. Lefèvre-Duruflé ; le préfet de la Seine, qui était M. Berger ; le directeur des cultes dissidents, qui était M. Charles Read, assistèrent à la cérémonie et lui donnèrent un caractère officiel. Selon l’usage, on prononça quelques discours et l’on souhaita toute prospérité au nouvel établissement ; ces vœux lui ont porté bonheur, car depuis ce jour, depuis le 26 mai 1852, il s’est dilaté dans de vastes proportions. Six semaines après, le 2 juillet, l’hospitalette de la rue des Trois-Bornes était fermée, après avoir, en l’espace de dix ans, abrité et soigné 1,374 malades ; on voit que ses douze lits avaient fait bon service. « 

Cela fait une moyenne sur 10 ans de 12 personnes accueillies par mois, soit une par lit.

Le 26 rue des Trois Bornes (parfois également numéroté 28 voire 30) était donc la maison de secours israélite, l’ancêtre en quelque sorte de l’hôpital Rothschild créé en 1852 et qui la remplaça.

Voici à ce jour une liste (non exhaustive et en l’état de mes recherches) des personnes qui y sont décédées de 1842 à 1852.

NomPrénomProfessionDate décèsAgeConjointCotePage
AbrahamThérèsemarchande10/01/184636Jacques LehmannDQ8 681128
AntelLevycolporteur16/01/184960DQ8 681151
BarakFleurette24/07/184475veuve RoufféDQ8 6852
BeerHenrycolporteur12/08/184458célibataireDQ8 68543
Biir (Beer)Nanette05/07/184754veuve Elie CerfDQ8 68587
BrachRosaliefille de confiance01/05/184923célibataireDQ8 6865
CahenSarah10/02/185150Créhange SamuelDQ8 200216
CahenSophiebouchère27/10/185134Mayer Worms, boucher à la Ferté sous JouarreDQ8 200224
CahinAronmarchand ambulant01/03/1852DQ8 200229
CerfNanette24/04/185165Abraham SchwabDQ8 200285
Chreber (Schreiber)MoïseColporteur11/09/185023MariéDQ8 78996
GrodevalMayerBrocanteur02/10/184462Levy Sara MinetteDQ8 699
KleinCaroline15/07/184829femme Simon WeillDQ8 205224
KulmanTheodoremarchand12/04/185035Sara CahenDQ8 205237
LambertCarolinedomestique12/05/184923DQ8 7066
LeibJulie15/01/184438femme StilleDQ8 70554
LéonLeopoldmarchand colporteur19/07/184965célibataireDQ8 70681
LevyAnnette30/11/184329Jacques LévyDQ8 704133
LevyLyonTailleur08/06/184223célibataireDQ8 704166
LevyCarolineouvrière en bretelles31/10/184228DQ8 704172
LevyJeannettecouturière25/11/184268célibataireDQ8 704173
LevyMayermarchand ambulant21/05/184463Rosette CahenDQ8 70557
LevyCharlotteouvreuse de loges27/07/184569veuve CahnDQ8 70576
LevyRaphaelprof de langues11/02/184783veufDQ8 70598
LevyNanetteMarchande ambulante29/11/184764célibataireDQ8 705110
LevySalomonmarchand de papiers20/12/184755célibataireDQ8 705112
LevyClaracasquetière23/07/184830Femme Aaron LevyDQ8 705123
LevyCerf01/09/184990DQ8 70685
LevySimonsp15/11/184947Adèle NettreDQ8 70688
LevyEva06/08/185056Arron CerfDQ8 706102
LevyAdelaïdemarchande de mouchoirs10/08/185163veuve BrunswickDQ8 706119
LionSimon17/03/184382EpouxDQ8 70489
LionFayelette20/10/185158femme Isaac Gombel, domicilié 27 rue St AntoineDQ8 706161
LoboDavid18/05/185180DQ8 706178
MaiRebeccamarchande de lunettes10/11/184356Jacob GoldmanDQ8 709149
MarxSarafille de confiance03/04/184217célibataireDQ8 70987
MauriceNanette23/05/184258Louis MayDQ8 70998
MayerCelestineouvrière en visières25/12/184525célibataireDQ8 7109
MayerBrunettemarchande ambulante17/02/184649femme BurthDQ8 71012
MayerLisbeth19/11/184775femme DeutzDQ8 71029
Mayer MarxInstituteur06/12/184576DQ8 7109
MetzerSarafille de confiance15/05/184233célibataireDQ8 70954
MorhangeGottoncouturière26/01/185030femme Joseph KleinDQ8 710166
MorhangeCharlotte Louisecouturière14/05/185024Marc RosenthalDQ8 710169
SalomonJulie19/03/184936femme Gotlob, marchand ambulantDQ8 210015
SalomonIsaacMarchand Ambulant17/08/184220célibataireDQ8 714141
SalomonNanettemarchande25/02/184468veuve MoïseDQ8 714156
SamuelBonnMarchand ambulant28/06/184566Oulmann CarolineDQ8 714167
SamuelSalomon Mayercolporteur22/08/184681VeufDQ8 714180
SchnerffMarie Félixouvrière en casquettes07/11/184355Félix MayerDQ8 714154
SchwartzDanielBrocanteur10/09/184338Ross MayerDQ8 714153
SichelIsaacouvrier savonnier19/05/184530epoux de …DQ8 714167
SoriaAbigailColoriste24/05/184521Molina IsraëlDQ8 714167
VeilHenriette15/09/185048DQ8 211256
WeilClara32/4/184732femme de Samuel BlumDQ8 21123
WeilSophieouvrière en casquettes23/07/184727femme de Isaac SchornsteinDQ8 21125
WeilAnnettebijoutière29/03/185029femme de Lehmann MoïseDQ8 211250
WeilAbrahampassementier02/03/184430célibataireDQ8 716170
Wimphen (Wimpfen)Davidtailleur01/08/184320célibataireDQ8 716166
WitterheimJoseph10/9185165DQ8 211269
WormsAlexandremarchand ambulant20/03/184641Pauline Kumpel (Gumpel)DQ8 716193

Peut-être la fondation Casip-Cojasor qui gère depuis 200 ans la bienfaisance israélite a-t-elle dans ses archives des précisions sur cette « hospitalette » ? Contactée, à suivre…

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