Fan de brocante et de chine, j’avoue avoir un faible particulier pour le charme suranné et désuet de ces vieux albums de famille qu’on découvre parfois par hasard. Depuis longtemps abandonnés par les familles, ils restent hélas souvent définitivement anonymes quand aucun nom n’y est indiqué. Mais parfois quelques indications au dos permettent d’identifier et conserver la mémoire de ces souvenirs.

C’est ce qui m’est récemment arrivé avec un lot de photos de famille dont une indication au dos m’a carrément bouleversé : « Julie et Maurice Bernheim, morts en déportation à Auschwitz ».

D’où venaient ces photos ? Qui sont ces personnes ? Quelle est leur histoire ? C’est ce que j’ai modestement cherché à savoir à travers cet article, tiraillé entre la peur d’être impudique et le désir de conserver et honorer la mémoire de ces personnes.

Dans ce lot d’une quarantaine de photos, il s’agit au vu des noms, des portraits et des lieux d’un ensemble ayant appartenu à une seule famille. Ces photos ont manifestement appartenu à une certaine Renée Bernheim, que l’on suit à travers les photos de son enfance à son mariage. Renée est la fille de Maurice Bernheim et Julie Bloch.

Les plus anciennes photos datent apparemment de fin 19e et viennent de l’est de la France (studios de Salomon Gerschel de Nancy, Armand Bernheim de Mulhouse, Calman Ducas de Neuf Brisach,…). La plupart des photos datent des années 1910, les plus récentes des années 30.

A partir de ces quelques photos et de recherches d’archives, voici à ce jour un aperçu de ce que j’ai pu retracer de cette famille :

Une famille alsacienne

Maurice Bernheim est né à Pfastatt en 1872, au lendemain de l’annexion allemande de cette commune du Haut-Rhin. Ses parents Clément Bernheim et Julia Goetschel ont manifestement fait le choix de rester à Pfastatt plutôt que de devoir quitter leur village. Il faut dire que cette famille Bernheim semble implantée à Pfastatt depuis le 17e siècle (d’après des arbres détaillés trouvés sur Geneanet que je n’ai cependant pas entrepris de vérifier).

Maurice Bernheim épouse Julie Bloch, née le 5 juillet 1877 à Hagenthal le Bas, peu après l’annexion allemande de cette autre commune du Haut-Rhin. Julie est la fille de Lazare Salomon Bloch et de Regina Goetschel qui ont manifestement également fait le choix de rester en Alsace. Cette Regina Goetschel étant la soeur de la Julia Goetschel mère de Maurice Bernheim, Maurice et son épouse Julie Bloch sont donc cousins et partagent les mêmes grands parents maternels, Gaspard Goetschel et Adèle Didisheim.

Maurice Bernheim et Julie Bloch eurent une fille, apparemment enfant unique : Renée Bernheim. De nombreuses photos concernent cette petite Renée, de son enfance à son mariage avec un certain René Schick (né en 1893 à Kruth dans l’actuel Haut Rhin, fils de Samson Schick et Elise Levy).

Un ensemble de photos anciennes concernent les ancêtres de cette branche Schick. René Schick est né à Kruth (Haut Rhin), le 3 janvier 1893, fils de Samson Schick et de Elise Levy. Renée et René ont eu au moins deux fils, nés à Colmar en 1931 et 1935.

Une famille éclatée par la guerre

Un très utile relevé des registres d’inhumation des cimetières parisiens entrepris par Geneanet a permis de retrouver la tombe de cette Renée Bernheim, décédée au tout début de la guerre et inhumée au cimetière Pantin le 18 décembre 1939. Une indication dans le registre indique « Famille de Fontainebleau », vraisemblablement venue chercher refuge en région parisienne. L’acte de décès de Renée n’est cependant pas enregistré à Fontainebleau.

Je suis passé jeté un œil au cimetière Pantin. La tombe est bien présente division 72, ligne 6, tombe 13. Le nom est presque effacée et Renée y est manifestement enterrée seule.

J’ignore comment son mari veuf et ses deux fils ont traversé la guerre. En tout cas leurs deux fils ont survécu, et le dernier s’est éteint à Créteil en 2020. Il est vraisemblable que ce lot de photos lui ait appartenu avant d’être dispersé après son décès.

Seule certitude, les parents de Renée, Maurice Bernheim et Julie Bloch, ont quitté l’Alsace pour se réfugier en zone libre pendant la guerre, à Lyon. Ils y demeurent 26 rue Malesherbes mais sont arrêtés et déportés à Drancy en juillet 1944 (source archives du Mémorial de la Shoah). Obligés à déposer leurs objets de valeur, Maurice donne « une montre en or à double boitier » et 950 francs. Sa femme dépose une somme très conséquente de 7 260 francs. Maurice (72 ans) et sa femme Julie (67 ans) sont alors déportés à Auschwitz dans le convoi 77 où ils périrent assassinés.

Le convoi 77

Le convoi 77 est le dernier des grands convois partis de Drancy. Le 31 juillet 1944, il emporte vers le camp d’extermination d’Auschwitz 986 hommes et femmes, et 324 enfants. L’association Convoi 77 fait un travail remarquable pour retracer, avec des élèves et des professeurs, le parcours de tous ces déportés. Sur les 1310 déportés de cet ultime convoi, 836 sont dirigés vers les chambres à gaz dès leur arrivée à Auschwitz le 5 août. Parmi eux Maurice et Julie. Paix à leur âme, et puisse cet article honorer leur souvenir.

Bien qu’en ma possession aujourd’hui, ces photos ne m’appartiennent pas et seront remises comme il se doit soit à d’éventuels proches ou à des institutions comme le Mémorial de la Shoah.