Q comme… Quatrième légion de réserve

Napoléon Ier crée en 1807 cinq légions de Réserve de l’intérieur. Formées de conscrits de 1808, elles sont censées assurer le service de sécurité aux côtes et aux frontières. Mais contrairement à ce qui était initialement prévu elles voient plusieurs de leurs bataillons prendre part à la guerre d’Espagne, dont la grande majorité trouveront rapidement la mort ou la captivité après l’humiliante défaite de Baylen. La 4e légion de réserve qui nous intéresse ici comprend notamment plusieurs soldats juifs alsaciens. Mais ce n’est qu’un prétexte pour évoquer plus largement ce passage dramatique des guerres napoléoniennes qui a concerné plus de 20 000 Français.

La défaite de Baylen

1808. L’armée française engagée en Espagne se heurte à des soulèvements, notamment celui du 2 mai resté célèbre immortalisé par Goya. Le général Dupont de l’Étang est envoyé en Andalousie pour libérer la flotte française coincée dans la baie par les Anglais. Il quitte Madrid et mène ses hommes, en grande partie des jeunes conscrits inexpérimentés et des unités de réserve, vers le sud à travers l’Andalousie. Les Français, forts de près de 20 000 hommes se heurtent le 19 juillet 1808 près du village de Baylen à une armée espagnole de près de 30 000 hommes. Dispersés, mal organisés, sous un soleil andalou de plomb, les Français se voient bloqués et contraints à demander un cessez-le-feu, immédiatement accepté. Les pourparlers s’engagent et aboutissent à un accord clair : les Français sont forcés à une humiliante reddition mais contre la promesse d’être renvoyés en France.

C’est ainsi que plus de 17 000 Français, à qui ont été accordés les honneurs de la guerre, défilent devant leurs vainqueurs et rendent leurs armes, leurs aigles et leurs drapeaux. 2 500 autres ont laissé leur vie sur le terrain.

La Reddition de Bailén, Musée du Prado à Madrid (photo ©SurNosTraces)
La Reddition de Bailén, revue version streetart dans les rues de Bailen par l’artiste Sendra (photo ©SurNosTraces)

La trahison anglo-espagnole

La perfide Albion, principal soutien des Espagnols rebelles, les pousse alors à trahir leur parole et à ne pas honorer les termes de l’accord signé. Hormis quelques officiers, les Français désarmés qui se sont constitués prisonniers ne sont pas renvoyés en France. Mais maintenir 17 000 soldats prisonniers n’est pas une mince affaire quand on n’a pas les infrastructures adéquates. Parmi ces soldats prisonniers, l’analyse des registres matricules indique la présence de plusieurs juifs alsaciens dans cette 4e légion de réserve :

Nathan Grumbach
Né le 2 novembre 1788 à Bollwiller, fils de Lazare et de Betzel Nathan. Conscrit de 1808. Arrivé à la 4e légion de réserve le 30 juin 1807. Prisonnier de guerre le 19 juillet 1808 à Baylen. Aucune trace de son retour à Bollwiller après guerre : Nathan semble avoir disparu pendant sa captivité, vraisemblablement décédé sur un ponton ou à Cabrera.

Archives de la 4e légion de réserve (SHD 23 YC 64, photo ©SurNosTraces)

Bimann Uhlmann
Né le 12 août 1788 à Seppois le Bas, fils de Joseph et Schossele. Conscrit de 1808. Arrivé à la 4e légion de réserve le 30 juin 1807. Prisonnier de guerre le 19 juillet 1808 à Baylen. Ce « Bimann » est sûrement le Benjamin Ulmann de Seppois, fils de Joseph, qui épouse le 25 février 1819 à Obersdorf Flora Katz à qui il donnera une descendance.

Archives de la 4e légion de réserve (SHD 23 YC 64, photo ©SurNosTraces)

Nathan Ulmann
Né en 1788 à Durmenach, fils de Daniel et de Guillet Brunschweig. Conscrit de 1808, arrivé à la 4e légion de réserve le 30 juin 1807, prisonnier de guerre à Baylen le 19 juillet 1808. Aucun détail sur sa captivité mais il survit à la guerre et épouse le 18 décembre 1815 à Durmenach Jachet Ducas. Il décède le 27 avril 1843 à Besançon.

Archives de la 4e légion de réserve (SHD 23 YC 64, photo ©SurNosTraces)

Des sépulcres flottants…

La plupart des prisonniers sont alors détenus sur des pontons, des bateaux transformés en prison. Il faut dire que c’est assez pratique, ça limite les évasions et les contacts avec la population, et ça permet de caser beaucoup (trop) de monde. Les conditions y sont effroyables comme le relatent les écrits de survivants :

“Sur ces bâtiments, où l’on nous avait entassés par cinq ou six cents, on n’osait pas nous faire mourir de faim, mais on nous distribuait des vivres empoisonnés, c’était du pain de munition, noir et rempli de substances terreuses, du biscuit plein de vers, des viandes salées qui se décomposaient par vétusté, du lard rance et jauni, de la morue gâtée, du riz, des pois et des fèves avariés, point de vin, point de vinaigre; aucun moyen de préparer nos aliments  et pour comble de malheur, par une chaleur excessive et avec une nourriture si propre à exciter la soif, on nous refusait l’eau, ou du moins on nous en donnait en si petite quantité, qu’elle s’absorbait telle que des gouttelettes qui tomberaient sur un fer ardent”.

Avec une telle densité et promiscuité, les pontons sont un mouroir où disparurent de nombreux prisonniers français, en Espagne comme en Angleterre où certains furent ramenés.

… à l’enfer de Cabrera

Le drame de Cabrera est assez peu connu, il est pourtant l’un des plus effroyables du XIXe siècle. Près de 11 000 soldats de Napoléon furent déportés sur cet ilot désertique des Baléares, non loin d’Ibiza mais avec une autre ambiance.

Maintenus prisonniers dans des conditions dramatiques pendant près de 5 ans, seuls 3 500 survécurent et furent libérés à la chute de Napoléon. Des « spectres sortis des abîmes de la terre » écrira à leur propos l’un de leurs libérateurs.

Plan de Cabrera (source : Mémoires d’un officier Français prisonnier en Espagne, Gallica)
Vue de Cabrera et d’une grotte où se réfugièrent des soldats
(photos de la mission de l’INRAP de novembre 2021)

Disons le tout de suite, le drame de Cabrera n’a laissé que peu de traces dans les archives impériales. Les registres matricules des soldats indiquent bien quand un soldat est fait prisonnier, mais ne donnent souvent aucune précision sur sa captivité. Et aucun relevé des survivants n’a manifestement été dressé à leur libération. Impossible souvent donc d’être absolument certain d’un passage à Cabrera.

Ainsi dans les registres de la 4e légion, la plupart des soldats ont été faits prisonniers à Baylen, mais souvent sans précisions particulières sur leur détention. Quelques rares soldats présentent néanmoins la trace explicite d’un passage à Cabrera notamment ces quelques soldats de la Marne :

  • L’indication la plus détaillée concerne un certain François Hermand, de Châlons. Prisonnier de guerre à Baylen, son matricule précise que 20 ans plus tard, « par décision du 16 décembre 1828 les renseignements suivants sont ajoutés : embarqué le 30 mai 1814 sur la frégate la Médée à l’île de Cabrera où il était prisonnier de guerre, débarqué à Marseille le 3 juin suivant. Voir le contrôle annuel n°24 »
  • Jean François Taillefer, de Boisy, prisonnier à Baylen, mort à Cabrera le 20 juillet 1809.
  • Jean Louis François Marie Laurent Train, de Plivot, prisonnier à Baylen, mort le 19 juin 1809 à Cabrera, « voir le contrôle annuel n°158 ».
  • Nicolas Mallet, d’Epernay, « prisonnier à Baylen mort à Cabrera le 10 février 1810 (voir le contrôle annuel). »
  • Jean Pierre Dominé, de Châlons, prisonnier à Baylen, « voir la liste de Cabrera n°147″.

Je n’ai pas encore identifié ce qu’était cette « liste de Cabrera ». Si vous avez des infos faites moi signe. A ce jour il n’existe aucun relevé des soldats de Cabrera : un beau projet collaboratif en perspective !

Extrait du registre de la Quatrième légion de réserve (soldat François Hermand) (SHD 23YC64, photo Surnostraces)
Extrait du registre de la Quatrième légion de réserve où il est évoqué une « liste de Cabrera »
(soldat Jean Pierre Domini) (SHD 23YC64, photo Surnostraces)
Source : Gallica

Au-delà des archives, pour en savoir plus sur les conditions de détention de nos soldats napoléoniens à Cabrera, l’archéologue de l’INRAP Frédéric Lemaire vient de lancer une mission de recherche de plusieurs années. Une campagne de financement participatif va être lancée pour permettre de poursuivre cette mission. A suivre !

Vue de Cabrera et d’une grotte où se réfugièrent des soldats
(photos de la mission de l’INRAP de novembre 2021)

Emouvante tombe de pierre d’un soldat de Napoléon (en bas à gauche), perdue sur l’Ile de Cabrera
(merci à Frédéric Lemaire de l’INRAP pour ces chouettes photos récentes de Cabrera)

4 commentaires

  1. Bonjour! Mon ancêtre a servi dans la 4ème légion de réserve à partir de 1807. Comment accédez-vous au registre SHD 23 YC 64? Je ne le trouve pas en ligne. MErci!

    • Bonsoir,
      Les registres des soldats de Napoléon ayant servi dans les légions de réserve ne sont je crois hélas pas encore en ligne. A ce jour c’est surtout l’Infanterie de ligne qui a été numérisée, ainsi qu’un peu de la garde impériale. Pour le reste, dont les légions de réserve, il faut encore ce déplacer à Vincennes près de Paris au SHD, Service Historique de la Défense. Un bien beau chateau dédié aux archives militaires. Surtout bien réserver avant de venir, c’est pas les archives les plus souples / arrangeantes en matière de consultation (nombre très limité de registres, de mémoire 5/j, besoin de prévoir très en amont même si rarement plein quand on y va, …). Bonnes recherches

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